dimanche 29 juin 2014

4-L'épuisement du clivage droite - gauche: sous le signe du drapeau bleu

Dernière mise à jour, le 13-04-2018.

La ligne d'analyse que suit Alain de Benoist (1) me semble assez bien synthétiser les raisons historiques de fond qui expliquent la perception très juste qu'a la population, aujourd'hui, comme toutes les enquêtes d'opinions le montrent, d'une perte de signification de ce clivage qui avait structuré la vie politique depuis la Révolution de 1789:"les trois grands débats qui, depuis deux siècles, avaient entretenu en France le clivage droite-gauche, sont aujourd'hui pour l'essentiel terminés." (de Benoist, L'effacement du clivage droite gauche, p. 3 )

Le premier, nous l'avons vu, se met en place dès 1789 avec la question du veto royal. Il portait sur la nature des institutions politiques dont avait besoin le pays: la droite monarchiste s'opposait à la gauche républicaine. Ce débat s'achève, pour l'essentiel , avec la IIIème République et l'établissement définitif du suffrage universel en 1875, au moment où A. Thiers parvint à convaincre une bonne partie des royalistes que le régime républicain est bien plus solide que la monarchie pour garantir leurs  privilèges (voir, Le triomphe final de la République bourgeoise de gauche dans la partie 2).
Le second grand débat concernait la place de la religion. A une droite catholique s'opposait une gauche anticléricale partisane de la laïcité et de la séparation entre l'Eglise et l'Etat. Cette séparation est actée en 1905 avec les lois sur la laïcité et le conflit va perdre l'essentiel de sa substance, avec le ralliement progressif de la hiérarchie de l'Eglise aux principes républicains. Il n'en restera plus que quelques vestiges autour de la question opposant l'école publique laïque aux écoles privées catholiques.
Une fois ces deux débats clos, le seul terrain d'affrontement qui reste entre la droite et la gauche porte sur la question du capitalisme. Être de droite, c'est alors être partisan de l'économie de marché et du laissez-faire. Etre de gauche, c'est mettre en avant la composante rouge de la gauche issue de  l'affaire Dreyfus et concentrer la critique pour définir une alternative au capitalisme. Ce débat est, à son tour,  pour l'essentiel,  achevé,  à partir du moment où la gauche a renoncé à toute critique sérieuse du capitalisme et s'est rallié au système de l'économie de marché comme mode d'organisation censé être le plus efficient et le plus rationnel, pour organiser la vie sociale. C'est ce qui se produit au cours des années 1980 quand la gauche qui accède au pouvoir fait définitivement son deuil de l'héritage du socialisme. A partir de là, c'est le drapeau uniformément bleu de l'Union Européenne qui prévaut aussi bien à droite qu'à gauche. Le clivage droite-gauche est désormais en voie d'épuisement et ce sont les mêmes politiques de libéralisation de l'économie qui sont menées par deux camps que plus rien de sérieux n'oppose fondamentalement.

La liquidation du socialisme par la gauche de gouvernement
Voyons comment s'est faite cette liquidation qui semble avoir définitivement fini d'épuiser le clivage droite-gauche.
Dès lors que les forces blanches réactionnaires issues de l'Ancien Régime sont marginalisées pour de bon avec la chute du gouvernement de Vichy, en 1945, l'alliance défensive bleu-rouge perd sa raison d'être et va se vérifier l'avertissement que J. Guesde donnait à propos d'une participation des socialistes à un gouvernement bourgeois de gauche qui "n'est pas la conquête des pouvoirs publics par le socialisme, c'est la conquête d'un socialiste et de ses suivants par les pouvoirs publics de la bourgeoisie." La gauche a, en réalité, doublement renoncé au socialisme. Une première fois, en l'assimilant à l'étatisme, qui a pu faire croire qu'en nationalisant des branches de l'industrie pour les faire passer entre les mains de l'Etat, comme lors de son arrivée au pouvoir en 1981, elle aurait été entrain de mener à bien un projet socialiste. En réalité, comme le savait fort bien un authentique socialiste comme Castoriadis, c'était là un contre-sens complet:"Je n'ai jamais pensé que les socialistes français soient des socialistes [...] Par exemple, les "nationalisations". Cela faisait des décennies que des gens, comme moi, passaient leur temps à montrer que les "nationalisations" n'avaient rien à voir avec le socialisme." (Castoriadis, Une société à la dérive, p. 322) Le socialisme bien compris, tel qu'il a été originellement élaboré, dans ses formes pratiques, essentiellement au sein du mouvement ouvrier, n'a jamais signifié d'avantage d'Etat mais plus de rapports coopératifs suivant des principes d'autogouvernement, au sein de la société elle-même, ce qui revient, en fin de compte, à moins d'Etat:"Cette identification du socialisme à l'extension du pouvoir d'Etat sera tenace en France et ailleurs. Pour autant elle ne traduit guère fidèlement la singularité du socialisme originel, tant en France qu'en Grande-Bretagne." (Chanial, La délicate essence du socialisme, p. 23) Nous avons, en plusieurs occasions, dissipé cette énorme confusion entre la société et l'Etat, comme  ici.
Une seconde fois, la gauche a abandonné le socialisme, d'une façon qui semble cette fois-ci irréversible, dès lors qu'elle a renoncé à toute critique du capitalisme et a acté de son adhésion aux principes de l'économie de marché. Cela est explicitement formulé, en France, en 1992, par le Parti dit "socialiste", dans le projet intitulé "Un nouvel horizon", qui donne les grandes lignes de ce que sera désormais la politique de cette gauche de gouvernement, dans le prolongement direct de ce qu'elle avait entrepris, avec une redoutable efficacité, à partir de 1983:"Oui, nous pensons que l'économie de marché constitue le moyen de production et d'échange le plus efficace. Non, nous ne croyons plus à une rupture avec le capitalisme." (Cité par A. de Benoist, L'effacement du clivage droite gauche, p. 12) Tout est dit: partant de là, le socialisme n'est plus pour cette gauche qu'un caput mortem, une encombrante étiquette à trimballer. Le socialisme s'étant constitué sur la base fondamentale d'une critique du capitalisme; il n'en reste donc plus rien une fois que cette gauche a renoncé à une telle critique. Elle puise désormais, avec la droite libérale, à la même matrice philosophique et politique, celle de la bourgeoisie "éclairée" des XVIIIème et XIXème siècle, appartenant au parti du mouvement par opposition au parti de l'ordre (voir, La première naissance du clivage droite-gauche dans la partie 2). C'est ce qui explique, chiffres à l'appui, que depuis les années 1980, "chaque victoire de la Gauche correspond obligatoirement à une défaite du socialisme." (Michéa, Impasse Adam Smith, p. 161) 
Reconnaissons au moins à l'actuel  premier ministre de gauche, Manuel Valls, le mérite d'une certaine cohérence quand il tire les leçons de ce qu'a été l'action gouvernementale de la gauche depuis plus de trente ans maintenant, et qu' il définit dans le titre de son ouvrage ce que doit désormais être l'orientation fondamentale de son parti: Pour en finir avec le vieux socialisme et être enfin de gauche. Il faudrait lire entre les lignes ici: pour en finir avec le socialisme et redevenir ce que la gauche était autrefois, au XIXème siècle, le parti de l'expansion du capitalisme moderne. A défaut, on pourrait toujours reconceptualiser la notion comme le faisait un hiérarque (chef) du parti. Le socialisme devient alors le parti "de l'espoir, de l'avenir, et de l'innovation." , soit tout l'imaginaire transgressif , en mouvement perpétuel, du capitalisme lui-même (D. Strauss Kahn donnant cette définition quand on lui demandait ce que signifie pour lui le "socialisme") C'est encore Valls, dans un entretien publié dans le journal France-Soir, qui faisait tomber le masque pour de bon:"Le socialisme au XIXème siècle a été inventé pour remplacer le capitalisme. Or nous devons assumer pleinement (je souligne) l'économie de marché. Je préfère parler de la gauche. [...] sortons de nos ambiguïtés, de nos références datées et de notre surmoi marxiste que l'on conserve pour se donner bonne conscience." (cité par Chanial, La délicate essence du socialisme, p. 21) Dès lors, il ne serait guère étonnant que cette gauche revivaliste soit tentée un jour de se débarrasser pour de bon de l' appellation désuète de "socialiste". C'est bien le sens de la proposition de Valls de débaptiser le Parti socialiste pour le renommer "Parti de la Gauche Française (PGF)" (voir Chanial, La délicate essence du socialisme, p. 21) Cela correspondrait, en effet, infiniment mieux, à l'esprit qui anime cette gauche.  Symboliquement, ne reste plus que le bleu de l'ancienne coalition bleu-rouge née de l'affaire Dreyfus (voir partie 3). Historiquement, cette unicolorisation correspond donc au grand virage libéral pris par la gauche à partir de 1983:" La critique du capitalisme est abandonnée [...] Réhabilitation du profit, apologie du marché et de la "culture d'entreprise", progression des revenus du capital supérieure à celle des revenus du travail: le virage est complet. Le résultat, ce sera l'envol de la Bourse, la corruption tous azimuts, et la promotion de Bernard Tapie au rang de modèle du "gagnant."" (de Benoist, L' effacement du clivage droite gauche, p. 12) Le projet de cette gauche libérale renouvelée, sera désormais, dans le meilleur des cas, pour reprendre les termes d'un de ses dirigeants, Michel Rocard, une "sorte de capitalisme tempéré." (Cité par de Benoist, ibid., p. 12) Nous rentrons, à partir de ces années 1980, dans la logique de ce que Michéa appelle "l'alternance unique", qui fait que les gouvernements de gauche et de droite, se succédant au pouvoir, poursuivent la même politique de fond: dans les termes de la langue de bois de la technocratie, une "politique d'ajustement structurel" de la société aux impératifs de l'économie capitaliste de marché mondialisée, via, en particulier, les traités internationaux de "libre-échange". Cette politique ne fait que suivre, de façon docile, les directives, à l'échelle mondiale, des institutions  internationales du capitalisme dont le mot d'ordre se résume au fameux TINA (There Is No Alternative): il n'y aurait désormais plus d'autre projet politique à imaginer, et ne resterait plus qu'à étendre le modèle de l'économie de marché pour y intégrer l'ensemble des pays du globe.

 Bonnet blanc, blanc bonnet, couçi ou couça
Nous donnerons deux illustrations d'une grande portée de ce régime de "l'alternance unique".
D'abord, la question si importante des retraites qui avaient été une pièce essentielle de la protection sociale que les classes populaires avait réussi à conquérir. C'est exactement la même ligne de conduite qui est suivie par les gouvernements successifs, qu'ils se revendiquent de gauche ou de droite, avec l'argument fallacieux, du vieillissement de la population. Tout commence en 1991, sous la férule d'un gouvernement de gauche alors dirigé par Michel Rocard,  qui commandite un Livre blanc sur les retraites. C'est sur cette base que le gouvernement de droite de Balladur en 1993 entreprend de s'attaquer aux acquis sociaux durement conquis des retraites. En 1995, le gouvernement de droite de Juppé entend franchir un pallier supplémentaire mais doit provisoirement battre en retraite (c'est le cas de le dire!) grâce à une mobilisation populaire suffisamment importante. En 2003, le gouvernement de droite de Fillon parvient, cette fois, à faire passer le projet. En 2008 et 2010, la droite de gouvernement poursuit le chantier de démolition. Le gouvernement actuel de gauche, dans un contexte social attristant de passivité, est en train de poursuivre le chantier en prévoyant un allongement de la durée de cotisations d’un trimestre supplémentaire tous les trois ans jusqu’en 2035. Les générations nées à partir de 1973 devront cotiser ainsi 43 ans pour bénéficier d’une pension à taux plein. (pour un éclairage différent contestant la propagande gouvernementale qui est la même, à droite comme à gauche, on l'aura deviné, sur cette question, nous renvoyons  aux notes faites à partir d'une conférence de Bernard Friot, en 2010, sur ce blog, à l'occasion de la deuxième "réforme" Fillon) L'étrange logique qui préside à l'érosion de la protection sociale touchant les retraites, peut être est résumée par le "théorème de Fillon" qui exhibe la curieuse logique libérale. Plus on libère du temps de travail par les gains de productivité et le machinisme et plus longtemps il faudra travailler:"Pour une société libérale donnée, la part du temps libre dans la vie des hommes doit croître de façon inversement proportionnelle au degré de richesse matérielle de cette société, multiplié par son taux de productivité." (cité par Michéa dans , Orwell éducateur, p. 74) C'est au nom de cette même logique que les libéraux, périodiquement et systématiquement, à l'époque moderne, ont pu s'opposer aux congés payés, à la réduction de la journée de travail, à l'abolition de l'esclavage, toutes mesures qui auraient dû entraîner, à les écouter, un effondrement de l'économie. En réalité, en y réfléchissant un peu, on verra que le véritable effet de l'allongement de l'âge légal de départ à la retraite, est d'exercer une pression à la baisse sur les salaires pour le plus grand profit du capital. En effet, dans une situation de chômage de masse où l'offre de travail est déjà bien supérieure à la demande des entreprises, continuer de faire croître l'offre, en maintenant toujours plus longtemps les gens sur le marché du travail par l'allongement de l'âge légal de départ à la retraite, ne peut avoir comme conséquence logique, si on a bien intégré la loi fondamentale du marché de l'offre et de la demande, qui est censée fixer le prix du travail (le salaire), que la baisse continue de la valeur de l'offre de travail, autrement dit, la baisse des salaires. C'est toujours la même logique qui préside à un slogan aussi absurde que "travailler plus pour gagner plus", qui n'a pourtant pas empêché celui qui en a fait la propagande pour sa campagne électorale de se faire élire à la présidence de la République, ce qui en dit assez long sur le niveau où nous en sommes rendus dans ce genre d'élections.
C'est évidemment autour de la question de la construction européenne que l'épuisement du clivage droite-gauche a été le plus marquant pour faire passer les divers pays l'ayant intégré sous la tutelle du drapeau uniformément bleu de la bourgeoisie d'affaires. C'est bien en France, la gauche libérale ralliée à l'économie de marché qui lui a donné une impulsion décisive dans les années 1980. Telle qu' elle a été conçue, dès l'origine, dès les années 1930, l'Union européenne est fondamentalement un projet d'économie politique visant à créer un marché européen supra-national. Précisément, dans la genèse qu'en retrace le sociologue Christian Laval, elle a été initialement conçue comme un projet ordo libéral, tout à fait conforme à la symbolique bleue des couleurs politiques (voir C.Laval; l'U.E. une construction ordo libérale et Friedrich Hayek, visionnaire de l'UE: le marché contre la démocratie, sur cette question politique cruciale) Il s'agissait d'abord et avant tout de construire un marché unifié européen  mettant en concurrence non plus seulement des entreprises et des travailleurs, mais des systèmes fiscaux, des systèmes sociaux, des systèmes éducatifs etc., bref, d'étendre et de radicaliser les principes de l'économie de marché. L'arbitre qui départagera ces différents systèmes, c'est le capital qui, libre de circuler, ira là où les conditions sont les plus avantageuses pour lui, ce qui, mécaniquement, exerce une pression à la baisse sur l'ensemble des droits sociaux des populations. Les Etats eux-mêmes, désormais, se gèrent comme des super entreprises qui intègrent dans leurs administrations les formes de management provenant du secteur privé. La France devient une marque comme Coca Cola dont il faut valoriser les actifs immatériels. Nous avons affaire, stricto sensu, à un capitalisme qui devient totalitaire, c'est-à-dire qui ne laisse plus rien en dehors de sa logique d'accumulation.

De l'anticapitalisme à l'antiracisme: le beur plutôt que le travailleur immigré
Voilà un autre aspect crucial des choses à intégrer si l'on veut avoir une chance de comprendre la montée en puissance de l'extrême droite xénophobe, depuis les années 1980, à partir du moment précis où la gauche libérale liquide définitivement l'héritage du socialisme.Toute critique du capitalisme étant abandonnée, la gauche de gouvernement va donc enfourcher un nouveau cheval de bataille, celui de la lutte antiraciste en phase avec la mondialisation de l'économie de marché. La substitution de la problématique culturelle et ethnique black-blanc-beur à la problématique sociale et politique bleu-blanc-rouge se fait conjointement dans les milieux politiques de la gauche et de son réservoir d'intellectuels académiques, comme l'avait observé l'ethnographe Françoise Weber:"Dès ce moment-là (1983), ce sont les immigrés, puis les exclus, qui intéressent les intellectuels: pendant quinze ans, quand on travaille sur les ouvriers et pas sur les immigrés ou sur les exclus, on est complètement ringards." (F. Weber, La gauche et les classes populaires, Manuel de l'ethnographe, p. 263) Il faut donc bien voir ce que peut cacher cette nouvelle promotion des figures de l'immigré et de l'exclu au détriment de celle de l'ouvrier, qui avait été, depuis ses origines, la figure centrale du socialisme.
Ce n'est sûrement pas un hasard si l'abandon de la critique du capitalisme par la gauche se fait au  moment même où vient sur le devant de la scène la question de la lutte antiraciste. C'est le piège parfait pour attraper les gens par les bons sentiments, car qui peut se proclamer, sans honte, raciste, sauf à paraître comme un beauf réactionnaire? Harlem Désir (pour la figure de l'immigré) et l'abbé Pierre (pour la figure de l'exclu) deviennent les figures de prou médiatiques de cette nouvelle gauche débarrassée de la critique du capitalisme, pendant qu'Yves Montand et Bernard Tapie, dans leur émission télévisée, en prime time, font l'apologie  de la libre entreprise, et que la série américaine Dallas, dédiée à la gloire du "capitalisme moralisé", fait un tabac sur les ondes. (voir la série des émissions de Là-bas si j'y suis consacrée au cauchemar des années 80 ) On constate alors une drôle de convergence quand Florence Parisot, la patronne du CNPF, MEDEF, le syndicat qui défend les intérêts du grand capital, peut se retrouver  sur la même ligne de conduite qu'une gauche qui place désormais l'essentiel de son combat sous la bannière de l'antiracisme et du "sans-frontiérisme", quand elle déclare dans le journal de droite le Figaro daté du 16/04/2011, qu'il faut rester " un pays ouvert qui accueille de nouvelles cultures et profite du métissage." C'est, au mot près, un discours qu'on retrouve jusque dans les rangs d'une ultra-gauche.
 Le débat politique, sous l'impulsion d'une gauche convertie aux préceptes libéraux, s'est donc détourné de la question des classes sociales vers celle portant sur des références à des appartenances culturelle, ethnique et raciale:"La victoire de François Mitterrand a été un moment essentiel dans l'évolution du discours de gauche à ce sujet. Le gouvernement socialiste s'est désolidarisé des OS (Ouvriers Spécialisés) en lutte dans les usines automobiles pour se focaliser sur la deuxième génération d'immigrés." (G. Noiriel, Pour une histoire populaire) C'est dans la transformation du vocabulaire de cette gauche, qu'on trouve la trace la plus parlante de cette évolution: la notion de "travailleur immigré", forgée au moment du Front Populaire (années 1930), qui renvoyait à une fraction de la classe ouvrière en lutte contre le capitalisme, est remplacée par celle, ethnique, du "Beur". Cette substitution obéit bien à une stratégie politique visant à neutraliser toute critique du capitalisme et  à abandonner la lecture de la société en termes de classes en conflit pour lui substituer une grille de lecture culturo-ethnique. La conséquence décisive en a été celle-ci :"L'abandon par la gauche de la référence à la classe ouvrière a renforcé les assignations identitaires et ethniques." ( ibid.) C'est à ce point précis que se fait l'articulation entre cette nouvelle orientation du discours de la gauche libérale et la montée en puissance de l'extrême droite raciste, qui a pour référence centrale, précisément, "les assignations identitaires et ethniques", montée en puissance, faut-il le préciser, qui a joué, au moins dans un premier temps, en faveur de la gauche, par la division à laquelle elle a donné lieu au sein de la droite, quant à l'attitude à adopter face au FN: c'est un fait difficilement contestable que cette gauche débarassée du socialisme a fait le jeu de l'extrême droite, au nom de ses propres intérêts électoraux .

De l'exploité à l'exclu
Par ailleurs, de façon concomitante,  la figure de l'exclu se substitue donc à celle de l'exploité dans le discours dominant. Ici aussi, elle répond à une logique de neutralisation de tout discours critique  à l'endroit du capitalisme et de l'abandon de la question de la lutte des classes. Comme le résume bien Michéa, "l'exclu, si on lui confère le monopole de la souffrance légitime, présente un double avantage: d'abord parce qu'il appartient à une catégorie, par définition minoritaire (ce qui restreint immédiatement le champ de l'injustice et, partant, celui de la mauvaise conscience) ensuite, et surtout, parce qu'il permet de renvoyer d'un seul coup, par sa seule existence, l'ensemble des travailleurs ordinaires, inclus dans le système d'exploitation classique, du côté des nantis et des privilégiés." (Michéa, Impasse Adam Smith, pp. 68-69) Par ce tour de passe-passe, se faire exploiter devient un privilège dont il serait mal venu de se plaindre au regard de la condition de SDF, cette catégorie de la population qui, du fait de sa condition sociale, est, de toute façon, impuissante pour s'organiser et faire entendre sa voix.
L'apparition du thème de l'exclusion va de pair avec le développement de la logique des réseaux, via la révolution informatique. Dans ce cadre, l'individu n'est plus défini par son appartenance à une classe sociale (vieux concept marxiste périmé), mais par son intégration à des réseaux:"l'exclusion, comme son contraire, l'insertion, font directement référence aux formes du lien social dans un monde conçu sur le mode du réseau." (Boltanski et Chiapellon, Le nouvel esprit du capitalisme, p. 428) Le réseau,  à la différence du modèle fondé sur les classes, laisse penser une société horizontale, invisibilisant les rapports d'exploitation et de domination, qui, de ce fait, ne peuvent que se renforcer. Parler en terme d'exclusion, et non plus d'exploitation, change, là aussi, du tout au tout, la donne sur la façon dont le discours dominant donne à penser la société. Un exploité suppose nécessairement un exploitateur. Au contraire, personne ne profite d'un exclu; puisqu'il est sans travail, il est, par définition, quelqu'un qui ne fait l'objet d'aucune exploitation. L'exclu n'est la victime de personne; tout le mal dont il souffre vient de ses difficultés personnelles à s'insérer dans les réseaux sociaux; d'où les "politiques de réinsertion" en lieu et place de celles qui auraient l'idée saugrenue de lutter contre l'exploitation. L'entreprise elle-même ce conçoit désormais sur ce modèle ("le réseau de l'entreprise"), et non plus sur celui de la hiérarchie. La critique de l'autoritarisme qu'on trouvait dans la gauche des années 1960 a fini par donner au management capitaliste le langage dont il avait besoin pour se restructurer en réponse à la crise de gouvernabilité qu'il rencontrait alors: ici aussi, droite (libérale) et gauche (libertaire) ont pu se retrouver et converger pour aller main dans la main, sous la figure du libéral-libertaire (M. Clouscard)

De la question sociale aux questions culturelles
Comme le relevait Thomas Frank, aux Etats-Unis, où une évolution du même type s'est produite, la société est dorénavant pensée sur le modèle de la cafétéria de lycée où les différences entre groupes sociaux se font sur des critères culturelles que chacun est libre de choisir au même titre que des marques de vêtement, reléguant la grille de lecture de la société en terme de catégories sociales et de lutte des classes au rang de vieillerie désuète:"David Brooks [...] conclut son étude de terrain sur l'Amérique rouge en prétendant que la traditionnelle notion de classe ne fonctionne pas. Pour lui, parler de classe en termes de hiérarchie dans laquelle certains occuperaient une position plus élevée que d'autres est un point de vue "marxiste", donc discrédité d'office. En revanche, il propose pour modèle plus approprié celui des cafétérias des lycées, compartimentées  en catégories de goûts librement choisis tels que "les pauvres types, les souffre-douleur, les punks, les bikers, les grincheux, les camés, les guerriers de Dieu" etc." ( T. Frank, Pourquoi les pauvres votent à droite, p. 61)
C'est sur le terrain culturel des moeurs que les élites de gauche progressistes essayent désormais de réalimenter un semblant de clivage droite-gauche en faisant valoir leur différence avec une droite qui, depuis ses origines, a toujours été traditionnellement conservatrice, voir réactionnaire, sur ce plan. La gauche ne peut plus désormais marquer sa différence avec la droite que sur des questions de cet ordre, dites "sociétales", dans lez jargon actuel, puisque, pour l'essentiel, c'est le même projet de société organisé sur la base des lois du marché économique qu'elle partage avec la droite. Ce déplacement sur le terrain des moeurs du débat politique va contribuer fortement au fait que la gauche finira par servir de repoussoir pour les milieux populaires, ce qui explique, en partie, le ralliement d'une fraction de ceux-ci à la droite la plus conservatrice. Typique de ce processus est le ralliement à la droite la plus conservatrice d'un père de famille du Kansas qui votait traditionnellement à gauche :"En écoutant son fils pérorer sur Milton Friedman et la nature divine du capitalisme de marché, le père se contentait de secouer la tête." Un de ces jours, fiston, tu réaliseras quel secoué tu fais...". Pourtant, ce fut le père qui finit par se convertir. Aujourd'hui, il vote pour les Républicains, les plus à droite qu'ils puissent trouver. C'est la question de l'avortement qui l'a fait changer d'avis. Catholique fervent, le père [...] était persuadé au début des années 1990 que le caractère sacro-saint du foetus l'emportait de loin sur toutes ses autres préoccupations..." (T. Frank, Pourquoi les pauvres votent à droite?, p. 29) C'est un élément de réponse, parmi d'autres, à prendre en compte, pour faire face à l'étrange question-titre de l'ouvrage de Thomas Frank.

A la recherche d'une troisième voie pour sortir de "l'alternance unique"
Les gens, dans une large mesure, ne  sont pas dupes de cette perte de sens du clivage droite-gauche, comme en témoigne l'évolution des résultats des sondages d'opinions faits sur cette question  à mesure que se concrétisait toujours plus le régime de "l'alternance unique": en 1981, 33% de sondés estimaient déjà que le clivage droite-gauche avait perdu de son sens; ils étaient 45% en 1986, au moment de la première cohabitation entre un président de gauche et un gouvernement de droite; ils étaient 48% en 1986 à l'issue de cette cohabitation et 56% en 1989 après la réélection de Mitterrand, soit, désormais, une assez large majorité.
Cet absence de tout conflit politique sérieux pose un problème de fond pour la démocratie. Elle revient à dire que le problème central de l'histoire sociale des temps modernes aurait été définitivement tranché en faveur d'une radicalisation et d'une universalisation des principes de l'économie de marché et qu'il n'y a plus rien à imaginer d'autre. Comme le récapitulait un libéral américain comme Fukuyama, nous serions arrivés, avec la démocratie libérale de marché,  au terme de l'histoire. Le fait est qu'une partie de plus en plus importante du corps social, confronté aux effets destructeurs de ce projet d'économie politique, ne l'entend pas de cette oreille, et confusément, se recherche une troisième voie par delà la gauche et la droite. Ici aussi, on constate une évolution significative de l'électorat: au premier tour des élections présidentielles de 1988, les deux grands partis de gauche et de droite sous la représentation de Mitterrand et de Chirac rassemblaient 54,1% des votes. En 2002, Jospin et Chirac ne rassemblaient plus que 35, 8 % des votes avec, pour principe des vases communicants, une montée en puissance impressionnante du vote Front National. De ce point de vue, l'élection de Macron représente l'aboutissement de ce processus décomposition des grands partis de droite et de gauche, dont il est typiquement un sous-produit, se revendiquant d'un "ni de droite, ni de gauche", slogan périodiquement affiché, depuis le XIXème siècle, par la droite la plus réactionnaire, qui prend chez lui, .comme on a pu judicieusement le qualifier, la forme d'un "extrême-centre", c'est-à-dire d'une certaine radicalité dans la façon de continuer à faire vivre l'héritage thatchérien du TINA (There Is No Alternative/ Il n'y a pas d'alternative à l'économie de marché).

Le divorce entre la gauche et les classes populaires et la montée en puissance du populisme d'extrême droite
Pour avoir une chance de comprendre la montée en puissance de ces partis dits "d'extrême-droite" (et pas seulement en France), il faut la resituer dans un contexte de divorce profond et durable entre la gauche et les classes populaires, qui ne trouvent plus, pour exprimer leur protestation, quand elles ne se réfugient pas, en priorité, dans l'abstention, que les nouvelles formes d'expression politique que propose cette extrême-droite de l'époque. On ne peut donc dissocier les deux phénomènes qui obéissent au principe des vases communicants. A mesure que la gauche se vide de son électorat populaire, la droite dure le récupère par bataillons entiers. Et il faut bien prendre la mesure de l'ampleur et de l'inscription dans la durée  de ce divorce, qui dessine ainsi une grande tendance dans la configuration actuelle du champ politique. Déjà, en 2002, il avait conduit à la situation désastreuse d'un affrontement entre les deux courants de la droite représentés par Le Pen et Chirac au deuxième tour des présidentielles, comme il suffisait de le constater alors:"On peut partir d'un constat assez terrible. Regardons les résultats de la présidentielle dans les catégories populaires et notamment chez les chômeurs et les précaires. Vient en premier l'abstention, puis Le Pen ( je précise, l'extrême droite), Chirac (la droite libérale), Jospin (la gauche libérale), Laguiller, Hue (la gauche communiste) en huitième ou neuvième. On est dans l'évidence d'un divorce entre la gauche et les catégories populaires [...] Le constat du divorce ne vaut pas seulement pour cette catégorie chômeurs et précaires. Il est aussi valable pour la catégorie ouvriers et employés." (Florence Weber, La gauche et les classes populaires dans, Manuel de l'ethnographe, p. 256) La tendance est toujours aussi marquée dix ans plus tard en 2012 comme le montre une analyse sociologique du vote Front National:
(2)

Un électorat plutôt jeune constitué majoritairement de classe pauvres, comme les ouvriers et les employés, faiblement ou pas du tout diplômés, soit un électorat traditionnellement de gauche. C'est le tableau que dresse Christophe Guilly:"Regardons le socle électoral de Marine Le Pen: des actifs de 20 ans à 55 ans, des jeunes, et socialement très majoritairement des ouvriers et des employés. C’est-à-dire la sociologie de la gauche." (Au fond, la gauche pense que les électeurs du FN sont stupides, 27/04/2012 ) Il y a là un étonnement qui pousse à remettre encore une fois sur le tapis la question-titre du livre de Thomas Frank: pourquoi les pauvres votent à droite?  Pourquoi diable en viennent-ils à voter pour des partis qui auront toutes les chances de mener des politiques qui feront encore empirer leur sort? Là encore, aux Etats-Unis, on a pu constater la même évolution. Un des cas les plus significatifs, c'est l'Etat du Kansas, un des plus pauvres du pays, qui avait traditionnellement été un bastion fort de la gauche socialiste et qui a fini par basculer vers la droite la plus conservatrice en votant pour Bush Junior. La Virginie Occidentale, l'Etat le plus pauvre des Etats-Unis, avait suivi le même chemin en votant à 56% pour le candidat républicain. Thomas Frank, avec son humour grinçant, imageait ainsi cette curieuse situation:"Les travailleurs en furie, forts de leur nombre, se soulèvent irrésistiblement contre l'arrogance des puissants. Ils brandissent leur poing au nez des fils du privilège. Ils se gaussent des affections délicates des dandys démocrates. Ils se massent aux portes des beaux quartiers et, tandis que les millionnaires tremblent dans leurs demeures, ils crient leur terrible revendication:"Laissez-nous réduire vos impôts!" (Pourquoi les pauvres votent à droite) C'est effectivement le résultat le plus constant des politiques de droite, libérale économiquement, au détriment des pauvres eux-mêmes.
. Il y a, au fond, deux façons d'aborder le problème. Soit suivant la gauche libérale-libertaire, et son réservoir de bobos vivant dans les beaux quartiers, qui consistera simplement à dire: ce sont des ploucs, des cons réactionnaires indécrottables et xénophobes incapables de s'adapter à la modernité. S'ils avaient mieux travaillé à l'école et passé leur diplôme, ils auraient pu bénéficier des fruits de la mondialisation et ils voteraient pour nous:"Or la gauche pense que si les gens votent FN, c’est parce qu’ils sont vraiment cons. Quand les experts disent par exemple que ce sont des gens non diplômés, disons les choses clairement : ça veut dire qu’au fond s’ils étaient allés à l’école, avaient réfléchi et qu’ils avaient eu un diplôme, ils voteraient socialiste." (Guilly, op. cit.) Cette ligne d'analyse conduit cette gauche a abandonné, d'une façon qui semble définitive, son électorat populaire traditionnel et à chercher à se refonder sur la base d'un nouveau socle électoral, stratégie qui ne va pas sans lui poser de gros problèmes: "C'était la grande thèse de Terra Nova. On a perdu notre sociologie habituelle, il faut la remplacer par les jeunes diplômés, les femmes urbaines et les musulmans: ce qui a très bien marché à la présidentielle. "(E. Zemmour, Le clivage droite-gauche va-t-il enfin exploser? Précisons bien que ce que j'ai dit concernant ma référence à de Benoist vaut aussi, encore plus, pour Zemmour, qui n'éveille chez moi aucune sympathie) (3)
Cette ligne d'analyse politique qui invoque la bêtise de l'électorat  risque de s'avérer un peu courte. Il faut lui opposer ce que Michéa appelait " le théorème d'Orwell". Cette drôle de situation, qui amène les pauvres à voter contre leur propre tradition politique, a des antécédents historiques qui devraient donner sérieusement à réfléchir. Il est impossible ici de ne pas faire le parallèle avec ce qu'Orwell constatait,en 1937, en pleine apogée du fascisme en Europe:"Ce qui me frappe, c'est que le socialisme perd du terrain là précisément où il devrait en gagner." (Orwell, Le quai de Wigan, p. 194) Le théorème d'Orwell consiste à adopter cette démarche: chaque fois que les pauvres se mettent à voter à droite, voir à la droite de la droite, chaque fois que la gauche perd du terrain là où elle est censée en gagner, elle devrait commencer par faire son auto-critique et s'interroger sur ce qu'elle est devenue, plutôt que de traiter de haut l'électorat populaire. Il serait plus exact encore de dire: de s'interroger sur ce qu'elle est redevenue. Nous le savons maintenant au point où nous en sommes: après avoir liquidé l'héritage du socialisme, la gauche libérale de gouvernement est redevenue, ce qu'elle avait été au XIXème siècle. C'est  l'acte de renaissance de la gauche XIXème, celle qui était porteuse du projet du capitalisme moderne et de tout l'imaginaire qui lui est lié. Ce qui prend ainsi définitivement fin, c'est le compromis historique qui avait vu la gauche bourgeoise et le socialisme s'allier contre la menace de la réaction et du rétablissement des structures de l'Ancien Régime, au prix d'une dissolution complète de la composante rouge dans un ciel tout bleu.
 Les milieux populaires les plus exposés aux ravages de la mondialisation néolibérale, dans la France périphérique, celle à l'écart des projets pharaoniques concentrés dans les grandes agglomérations urbaines, sont désormais laissés à l'abandon par cette gauche. Il est tout à fait significatif, par exemple, que François Hollande n'emploie pas une seule fois le mot ouvrier "dans sa motion adoptée par les militants lors du congrès de Dijon." (S. Halimi, Préface à T. Frank, Pourquoi les pauvres votent à droite, p. 17) La perception très juste qu'ont ces milieux populaires d'avoir été complètement laissés à l'abandon par la gauche ne leur laissent plus d'autre façon d'exprimer leur révolte, que le recours massif à l'abstention. Pour ceux qui, malgré tout, continuent d'aller voter, on a ici apporté des éléments de réponse expliquant pourquoi, ils penchent désormais dangereusement vers la droite de la droite. C'est typiquement le cas de cet habitant de Bessan dans l'Herault qui, en dépit de son vote FN, tient tout de suite à préciser qu'il n'est pas "quelqu'un de droite, ni  d'extrême droite [...] même plutôt de gauche et pacifiste." (Cité par Stiegler, De la misère symbolique, p. 34) Avec la dissolution du socialisme, ce n'est désormais plus de la gauche que viennent les nouvelles formes de protestation politique contre l'existant, mais de la droite nationaliste, patriarcale, raciste et autoritaire. Au mouvement traditionnellement  sinistrogyre qui avait fait basculer vers la gauche le champ politique depuis la Révolution de 1789, se substitue un mouvement inverse dextrogyre, qui fait que c'est désormais vers la droite la plus dure que  les choses penchent, ce qui n'est pas pour rassurer sur l'avenir...

(1) Je sais bien que, dans les milieux de la gauche, beaucoup seront horrifiés qu'on se réfère à un auteur qu'ils ont catalogué de la "nouvelle droite", à son corps défendant, faut-il le préciser. Ce que j'ai pu lire de lui me montre qu'on a plutôt affaire à quelqu'un qui se réfère beaucoup aux socialismes des origines, ce qui pour moi est loin d'être une tare. Quoi qu'il en soit, ses options politiques véritables sont tout à fait secondaires ici: ce qui importe, c'était l'état des lieux qu'il dresse du débat politique actuel, qui, lui, semble tout à fait fondé. Le diagnostic qu'il établit converge avec celui établi par Castoriadis, quelqu'un qu'il serait assez ridicule de classer à droite, qui notait en 1986:"Il y a longtemps que le clivage droite-gauche, en France comme ailleurs, ne correspond plus ni aux grands problèmes de notre temps ni à des choix politiques radicalement opposés." (Castoriadis, Une société à la dérive, p. 209) "Longtemps" cela remonte au moins déjà à ces élections anglaises de 1959:"Cela a été reconnu [...], par la presse bourgeoise sérieuse (par exemple l'Economist et le Guardian). Ces journaux regrettaient amèrement l'absence de toute différence reconnaissable entre les programmes des Travaillistes (la gauche) et des Conservateurs (la droite) [...] pour avoir deux partis, on doit avoir quelque chose qui en fait vraiment deux partis et non pas simplement deux faces de la même bande." (Castoriadis, La crise de la société moderne) Après, les solutions politiques que pourrait préconiser de Benoist à ce lamentable état de fait, c'est une toute autre histoire. Si ça peut rassurer, c'est la seule référence à lui qu'on trouvera sur ce chantier.

(2) Il y aurait lieu d'ajuster certaines données à la lumière des résultats plus récents, ceux de la présidentielle de 2017. Entre les élections régionales de 2015 et les présidentielles de 2017 Le Pen passe de 51% à 39% du vote ouvrier, ce qui est plutôt un signe encourageant. Ce qui prédomine de plus en plus, dans les catégories populaires, c'est l'abstention, comme l'atteste encore les élections législatives de 2017: 66% d'abstention chez les ouvriers, 61% dans la catégorie employé (source: Ipsos).

(3) Voir  le rapport de Terra Nova de 2011, ce groupe d'experts qui inspira la stratégie électorale du PS pour les élections présidentielles de 2012: " (Il) exhibe un cynisme si époustouflant, si décomplexé dans le séquençage marketing de l'électorat, il explique avec tant d'ingénuité comment manipuler et duper chaque catégorie, ou pourquoi il faut mépriser la classe ouvrière, que nous ne pouvons faire moins que de contribuer à notre tour à sa publicité, suivant la maxime de Marx:'Il faut rendre la honte plus honteuse encore, en la livrant à la publicité."" (Pièces et Main d'Oeuvre) Il montre aussi et surtout que désormais les élections se conçoivent d'abord et avant tout  sur le modèle marchand d'une campagne publicitaire dans laquelle il s'agit de cibler une clientèle pour remporter des parts de marché, ce qui est un élément de plus à verser au dossier de la tendance totalisante du capitalisme actuel.











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