dimanche 3 février 2013

Quel est le pouvoir des mots?

"Il faut toujours mettre autour des actions une confiture de paroles." (Napoléon) 

"Quand il y a un fossé entre les objectifs réels et les objectifs déclarés, on a presque instinctivement recourt aux mots interminables et aux locutions râbachées, à la manière d'une seiche qui projette son encre." (G. Orwell)



Introduction
Il est courant d'entendre des expressions comme," ce ne sont que des mots", "au lieu de parler, il ferait mieux d'agir" etc. Ce qu'elles ont en commun, c’est la croyance implicite que les mots ne sont pas importants et qu'ils n'ont pas de réel pouvoir; on oppose ainsi l'ordre théorique du langage qui importerait finalement peu à l'ordre pratique de l'action qui seul compterait vraiment. Mais quelle est la consistance de cette opinion commune? N'a-t-elle pas une compréhension du langage et de ce qui est en jeu en lui infiniment trop superficielle? Si les mots étaient si peu importants, comment pourrait-on comprendre ce qu'une écrivain comme Dinesen a à nous dire lorsqu'elle déclare que ""tous les chagrins du monde sont supportables si on en fait un conte ou si on les raconte"?  Comment expliquer alors qu'un pouvoir aura toujours besoin d'exercer un contrôle sur la langue pratiquée dans la société? Comment expliquer que"les mots peuvent être comme de minuscules doses d'arsenic: on les avale sans y prendre garde, ils semblent ne faire aucun effet, et voilà qu'après quelque temps l'effet toxique se fait sentir."  (V. Klemperer, LTI La langue du IIIème Reich, p. 40)? Les mots ne sont-ils pas , au contraire, au cœur d'enjeux anthropologique concernant notre humanisation,  et politique, concernant les rapports de pouvoir au sein d'une société, absolument fondamentaux? Autrement dit, y-a-t-il vraiment lieu d'opposer l'action aux mots? Parler n'est-ce pas une façon d'agir et donc d'exercer des effets, soit, avoir du pouvoir?
Démarche pour traiter le problème:
Comme pour tous les sujets qui n'appellent pas une réponse par oui/non, pensez, si vous avez du mal à définir une démarche pour traiter le problème,  à distinguer différents niveaux d'analyse; ici, je traiterai d'abord la question sur un plan psychologique et anthropologique en montrant l'importance de l'acquisition du langage dans la transformation de la psyché humaine en un  individu apte à vivre en société et à accéder aux formes supérieures de la culture. Puis, je reposerai la question sur un plan social et politique en montrant que les mots constituent un instrument de domination qui peut devenir totale dans le cadre d'un ordre totalitaire. D'où finalement la nécessité de repenser le langage de façon critique ce qui est une des tâches les plus importantes pour faire valoir la libre pensée.

1)Sur le plan culturel
a) Le pouvoir des mots dans le développement de la personne humaine
Si les mots avaient si peu d'importance comment pourrait-on comprendre ce que Dinesen a à nous dire lorsqu'elle déclarait que "tous les chagrins du monde sont supportables si on en fait un conte ou si on les raconte"? Ne voyons-nous pas ici le pouvoir du langage en tant qu'il nous permet de nous libérer du poids des affects tristes qui peuvent nous oppresser. Exprimer symboliquement son "chagrin" est une façon de le mettre à distance de soi et s'en décharger; c'est d'ailleurs sur ce pouvoir libérateur des mots que repose le principe de la cure psychanalytique; ce que Freud invente à l'aube du XXème siècle, c'est une nouvelle façon de soigner les troubles psychiques qui est révolutionnaire en ce sens qu'elle fait de la parole du patient l'acte thérapeutique lui-même. Oui, mais précisons tout de suite que cette forme de thérapie coûte aujourd'hui la peau des fesses et est réservée, pour cette raison, à des gens fortunés. Pour les pauvres, il reste à trouver d'autres voies narratives, plus économiques.
On voit tout de suite ici l'importance de l'acquisition du langage dans la formation d'un individu: celui a qui manque les mots pour libérer ses affects celui a qui les voies du récit et de la narration sont fermées devra libérer son affect d'une autre façon qui sera directe et brute et qui se fera par la violence qu'il pourra infliger aussi bien à lui-même (l'affect se déchargera par exemple sous forme de troubles somatiques comme dans le cas de l'hystérie) qu'aux autres. C'est d'ailleurs en ce sens qu'on peut comprendre le don particulier du poète de pouvoir verbaliser à la fois par le rythme et la plastique des mots ce qui chez le commun des mortels est condamné à rester inexprimable. Il est, en quelque sorte, le porte voix de tous ceux qui doivent souffrir en silence, raison pour laquelle sa parole peut être un baume pour eux:" Si l'homme se tait dans ses tourments, un dieu m'a donné ce pouvoir: dire ce que je souffre."(Goethe, Les années d'apprentissage de Wilhelm Meister ); le dicton  populaire qui dit que "les grandes douleurs sont muettes" est, en réalité, équivoque: est-ce parce qu'elles sont muettes que ces douleurs sont grandes ou est-ce parce qu'elles sont grandes qu'elles sont condamnées à rester muettes? Dans le domaine de la psyché humaine les deux cas sont possibles: c'est tout autant l'affect qui peut déterminer la représentation que la représentation qui peut déterminer l'affect.
Cette vertu libératrice des mots dépend, en premier, de la richesse du lexique à notre disposition. Plus il sera pauvre et plus les voies de la représentation symbolique se boucheront pour décharger l'affect. Plus il sera riche et plus elles s'ouvriront. Quoiqu'on ait pu avoir à reprocher à la culture bourgeoise de l'écrit, en particulier de coloniser l'imaginaire des analphabètes primaires, elle a pu avoir des vertus émancipatrices pour les dominés eux-mêmes. C'est, par exemple, dans le riche fond du lexique puisé dans les écrits de la culture de ses maîtres, qu'un esclave en fuite comme F. Douglass a pu donner forme et consistance à ses pensées de révolté:"La lecture de ces discours ajouta grandement à mon fonds limité de vocabulaire et me permit de donner la parole à de nombreuses pensées intéressantes qui avaient récemment illuminé mon âme et s'étaient perdues faute d'expression." (cité par C. Lasch, La révolte des élites, p. 190) Intérieurement, l'acquisition de ce  lexique permis à sa pensée de s'affermir et lui donna la force de s'affirmer dans un univers hostile. Politiquement, elle lui ouvrit l'accès  à la sphère publique du débat sur la question de l'esclavage où elle put alors acquérir un poids politique:" Le pouvoir de la parole [...] lui a donné accès à la fois au monde intérieur de ses pensées et au monde public dans lequel le sort de son peuple allait être décidé pour le meilleur ou pour le pire." (C. Lasch, ibid., p. 191).
Le langage joue un rôle fondamental dans les processus de sublimation de la vie psychique.
Sublimation= sens premier du terme appliqué à la chimie: désigne le passage d'un corps d'un état solide à un état gazeux. Sens dérivé appliqué à la psychologie= désigne un processus de dématérialisation du désir qui est détourné de sa direction initiale pour être réorienté vers les formes supérieures de la culture; la sublimation est à comprendre par distinction avec le mécanisme de refoulement du désir qui consiste simplement à le nier. Parler, comme le soulignait Castoriadis, c'est déjà sublimer: « Il faut rappeler cette évidence banale, dont personne ne semble tenir compte: parler c'est déjà sublimer. Le sujet du langage n'est pas le sujet pulsionnel. A partir du moment où l'appareil oral investit une activité qui ne procure aucun plaisir d'organe (pas en général), il y a activité sublimée. Parler est une activité sublimée, d'abord parce qu'elle ne procure aucun plaisir d'organe; ensuite et surtout parce qu’elle est instrumentée dans et par une création extra-psychique et qui dépasse les possibilités de la psyché singulière; enfin, parce qu’il implique toujours potentiellement que l'on s'adresse à d'autres participants..." (Castoriadis, Le monde morcelé)
Ce qui fait de la parole une activité sublimée, ce sont donc trois choses.
-Premièrement, la possibilité de la sublimation repose entièrement sur cette singularité de la psyché humaine qui fait qu'il y a chez elle une prédominance du plaisir représentatif sur le plaisir d'organe; les représentations qu'elle forme et altère constituent des sources de plaisir. En apprenant à l'enfant à parler, nous faisons en sorte qu'il investisse son appareil vocal par une activité qui ne procure aucun plaisir d'organe; parler du bonbon (plaisir représentatif) ce n'est pas du tout la même chose que sucer un bonbon (plaisir d'organe); dans ce dernier cas, l'enfant est centré sur des fonctions purement biologiques (sucer, digérer)  ce qui ne permet pas à son activité mentale de se développer.
-Deuxièmement, parce que le langage est une création qui dépasse les possibilités de la psyché individuelle et implique donc toujours et déjà l'existence d'un collectif d'individus, soit, ce qu'on peut aussi appeler une société ( cf. la conférence audio de Castoriadis où il en est question) On ne peut s'expliquer qu'à un moment les hommes aient décidé de créer le langage à partir des possibilités de la psyché individuelle; il aurait fallu pour cela qu'un jour un individu ait l'idée, tout seul dans son coin, sans disposer encore du langage, de créer le langage, ce qui est déjà très difficile à concevoir: comment une une telle idée pourrait germer dans l'esprit d'un individu qui n'a pas encore le langage à sa disposition? Et, de surcroît, il aurait fallu qu'il arrive à convaincre les autres, toujours sans langage, puisqu'il aurait été le seul à y avoir accès, du bien fondé qu'il y aurait à se servir du langage. Cette façon de se représenter les choses ne colle pas puisqu'elle présuppose l'existence de ce dont elle cherche à expliquer l'origine: le langage. Castoriadis en fera, pour cette raison, une création de ce qu'il appelle le collectif anonyme de la société: c'est là, il faut bien l'avouer, quelque chose qui est extrêmement difficile à penser, justement parce que notre langue ne dispose pas de tournure grammaticale pour bien le formuler. L'ancienne langue hébraïque, dans laquelle a été écrit le premier livre de la Bible, La Genèse, narrant la création du monde, semble avoir la forme qui s'en rapprocherait le mieux, qui est un singulier collectif, plusieurs en un seul. On la trouve dans le terme "Aelohîm", qui est traduit, presque toujours par "Dieu", ce qui est donc tout à fait inadéquat. Fabre d'Olivet, un auteur de la tradition de l'ésotérisme chrétien, avait retraduit le mot par "Lui-les-Dieux". Peut-être faudrait-il arriver à penser la création du langage suivant ce genre de tournure de langage, mais, c'est là quelque chose qui nous est trop peu familier pour que nous puissions bien nous le représenter. Il faut donc ici reconnaître notre impuissance à penser adéquatement l'origine des mots. Ce que nous pouvons au moins saisir ici, c'est que ce qui est pensable dépend de la forme particulière de notre langue et qu'il n'y pas, comme le soulignait déjà Hegel, la pensée qui s'élaborerait dans un premier temps, pour trouver ensuite les mots pour se communiquer. Dans le même sens, le "logos" des Grecs anciens voulait dire indissociablement la pensée et le langage: la pensée se forme dans le langage dont nous disposons, d'où, encore une fois, l'importance de l'enrichir.
-Reste le troisième point. En investissant l'activité psychique dans l'usage des mots, nous cessons d'investir des représentations qui n'ont qu'un caractère privé (ce qui est le cas du phantasme, de l'idée délirante, de l'hallucination) pour l'investir dans des représentations qui ont une valeur sociale et qui permettront de fonder le rapport à autrui. Ce que l'individu reçoit avec l'acquisition du langage c'est bien plus que de simples signes pour communiquer. Ce sont des significations socialement instituées qui l'introduisent dans un monde commun, partagé entre tous qui fait qu'on ne peut pas faire dire n'importe quoi aux mots. Dans le processus de décentrement de l'existence du nourrisson qui doit l'amener à reconnaître qu'il existe un monde qui n'est pas malléable à sa guise , ils jouent ainsi un rôle clé. Il n’est pas anodin que l’articulation des premiers mots de l’enfant coïncide avec le moment, autour de deux ans, où il accède à la reconnaissance de son incomplétude sexuelle: c'est le moment où Narcisse qui ignore tout des limites distinguant le monde intérieur et le monde extérieur doit mourir pour renaître en un élève apte à vivre en société.
Ce que l'apprentissage des mots permet de mettre en oeuvre ce sont les mécanismes de sublimation du développement humain de l'enfant. Plutôt que de lui donner systématiquement le bonbon qu'il réclame, ce que l'éducateur devra veiller à faire c'est à sublimer son désir du bonbon en faisant en sorte que l'enfant parle de l'objet de son désir; c‘est ainsi et seulement ainsi que nous lui ouvrons les portes de la représentation symbolique et, partant de là,de la culture; comme le dit F. Dolto, « une fois qu‘il a son bonbon- ou pire son chewing-gum- les parents ont peut-être la paix, mais l‘enfant ne parle pas, n‘observe rien, il est centré sur son tube digestif[…]Si on lui dit: »Comment serait ce bonbon? Rouge? » on se met à parler du goût du bonbon rouge, du goût du bonbon vert; on dessinera même un bonbon, et l’enfant aura complètement oublié qu’il voulait en manger un. Mais quelle bonne conversation autour des bonbons. Parler les désirs, les représenter, partir des désirs pour entrer en communication avec les autres, par la parole et non dans le corps à corps, voilà ce qui fait la culture, la littérature… » Cette place fondamentale du langage dans l'éducation explique pourquoi c'est d'abord par le biais de son acquisition que se joue , dans la société, la reproduction des inégalités. Les enfants, dès leur entrée à la maternelle, sont déjà inégaux et cette inégalité est d'abord une inégalité face au langage qui tient au capital culturel extrêmement variable dont héritera l'enfant suivant son milieu d'origine.

b) L'appauvrissement de la langue et la crise anthropologique actuelle
Partant de là, on peut comprendre pourquoi tout ce qui pourra entraver l'acquisition des mots chez l'enfant constituera un frein à son développement. Sur ce point, le diagnostic d'une crise anthropologique des sociétés modernes peut solidement s'étayer. Tout conspire, dans les formes avancées du capitalisme, à générer un nouveau type anthropologique, l'analphabète secondaire, qui, en plus d'avoir massivement perdu l'héritage des cultures de l'oral tend aussi, désormais, à perdre, des acquis émancipateurs de la culture de l'écrit. Tout semble conspirer, au sens de respirer ensemble , dans la même direction, dans une société dont le problème central est devenu celui de vendre l'énorme surproduction de marchandises et d'avoir besoin, pour cela, de consommateurs "qualifiés".
-l'école qui, s'inscrivant de plus en plus dans une logique d'éducation nationale, allège les programmes, en particulier, ceux touchant l'acquisition des fondamentaux de la langue. A en croire mon collègue M. Delors, de 1976 à 2004, un élève, en fin de troisième, a perdu en cours de route 800 heures de cours  français, soit l'équivalent de deux ans et demi.
-les dispositifs  de l'industrie de la culture de masse; voyez un aperçu du corpus de données scientifiques dont on dispose aujourd'hui sur la télévision à partir de 31'30:

 Une illustration: "l'ignorance c'est la force" dans le journalisme de masse
Cette déperdition du langage s'observe, par exemple, dans les milieux du journalisme. Comme  Nietzsche en faisait la critique dès la fin du XIXème, il est devenu la forme dominante de ce qui n'est plus qu'un ersatz de culture:"le journal se substitue à la culture [...] C'est dans le journal que culmine le dessein particulier que notre temps a sur la culture: le journaliste, le maître de l'instant, a pris la place du grand génie, du guide établi pour toujours, de celui qui délivre de l'instant." (Sur l'avenir de nos établissements d'enseignement ) Le diagnostic établi par Nietzsche a sûrement  gagné en actualité depuis  son époque comme en témoigne la misère intellectuelle régnant aujourd'hui dans les écoles formant au métier:"Peut-on concevoir une « grande école », qui plus est «de journalisme », sans bibliothèque ? C’est pourtant possible, le CFJ l’atteste : en guise de rayonnages d’ouvrages, une très modeste « documentation », avec des magazines, un Quid, quelques dictionnaires, un manuel de la ponctuation... Une centaine d’usuels, à peine. [...]A l’ESJ de Lille, d’ailleurs, un immense fonds subsiste... rarement consulté, comme le raconte le documentaliste :"Les étudiants arrêtent quasiment de lire des livres lorsqu’ils passent le seuil de l’école de journalisme (...), comme s’ils devaient d’ores et déjà acquérir et intérioriser les réflexes en vigueur dans les rédactions. " (F. Ruffin, Le centre de formation des journalistes saisi par l'argent roi) Il n'y a là aucune négligence mais seulement les exigences de la formation à un métier qui obligent de rentrer dans un moule où l'ignorance constitue une vertu. Le présentateur d'un JT doit être capable de parler de tout sans  rien connaître en particulier dans le format minimaliste imposé par le média de masse. L' école de journalisme a parfaitement intégré le dicton orwellien, "l'ignorance c'est la force": "loin de handicaper le journaliste, une méconnaissance des sujets constitue un atout : un savoir incongru risquerait de parasiter la synthèse ; la complexité envahirait le chroniqueur, qui déborderait du format, dépasserait la minute, voire - extrême limite - les 1min15.." (ibid.).Le métier de journaliste dans la norme imposée par les médias de masse exige de réduire la langue à sa plus simple expression comme on l'enseigne au CFJ (Centre de formation des journalistes) « Autant que possible, évitez les subordonnées, les phrases supérieures à quatorze mots."(ibid.) On pourrait aussi trouver dans le milieu des cadres d'autres indices du fait que l'analphabétisme secondaire n'est plus nécessairement un handicap pour grimper l'échelle sociale.

2)Le langage en tant qu 'instrument de pouvoir
Un système de domination ne peut se reproduire et perdurer que s'il est capable de régner non seulement sur les corps par ses instruments de répression mais aussi et surtout sur les esprits en faisant en sorte que les dominés intériorisent et adhèrent positivement à l'ordre institué. Pour contrôler la pensée des individus et l'orienter dans un sens favorable aux dominants, il faudra d'abord faire un travail sur le langage. Car la pensée lucide et consciente est une pensée qui s'élabore avec des mots et si certains mots nous manquent il y a des choses que nous serons bien incapables de penser!

a) Rhétorique et sophistique
Ce que Platon dénoncera dans la sophistique c’est un usage du langage qui le réduit à n’être qu’un instrument de pouvoir et de domination: « […] dirige vers la cité que tu voudras les pas d’un orateur et d’un médecin, et supposons qu’il faille ouvrir une compétition par la force du verbe dans l’Assemblée ou dans toute autre réunion pour savoir lequel des deux sera choisi comme médecin, au grand jamais, je pèse mes mots, le médecin n’entrera seulement dans la course, et le choix se portera  sur celui qui sait parler, pour peu qu’il le veuille. Qu’on le mette, s’il faut, en face de n’importe quel technicien pour une semblable compétition, il persuadera à l’Assemblée de le choisir, lui, l’homme de la rhétorique, plus sûrement que ne ferait un technicien pris dans n’importe quel secteur. Il n’y a pas de domaine où le verbe de l’orateur n’arrive à persuader plus sûrement que tout autre technicien pris dans n’importe quel secteur, devant la foule. Telle est la puissance, dans toute son étendue et toute sa pointe, qui est celle de notre métier. » (Platon, Le Gorgias) La rhétorique désigne cet art de persuader par le discours qu'utilisera le sophiste dans la cité démocratique pour occuper des positions de pouvoir. Entre un médecin et un orateur, la foule crédule et ignorante choisira comme médecin non le médecin de métier mais l’orateur qui, grâce à la maîtrise, qu’il possède du discours, saura être plus persuasif alors même qu‘il ne dispose d‘aucune compétence réelle dans ce domaine. On devine que cette dénonciation du pouvoir de la rhétorique au mains des habiles orateurs s’inscrit, chez Platon, dans le contexte plus large d’une critique de la démocratie. Celle-ci, de par son mode de fonctionnement qui fait de l‘habileté à s‘exprimer en public l‘arme décisive , fera la part belle non aux individus compétents pour traiter les affaires communes mais aux beaux parleurs; d‘où la dénonciation par Platon de la démocratie comme régime qui place l‘incompétence au pouvoir. Faites le lien ici avec L’allégorie de la caverne dans laquelle les habiles orateurs sont représentés symboliquement par les illusionnistes qui, de par leur position, sont en mesure de faire passer l’apparence pour la réalité; l’orateur, par son habileté à manier le discours est capable de se faire passer pour un bon médecin, un bon architecte, un bon stratège militaire etc. ce qui correspond dans l’Allégorie à la confusion crée dans l’esprit des prisonniers entre la réalité et les ombres projetées sur le fond de la caverne (le véritable médecin et celui qui n‘a que l‘apparence du médecin, le véritable architecte et celui qui n‘a que l‘apparence de l‘architecte etc.). Tel est le pouvoir des mots pour celui qui en a la maîtrise: ils sont capables de faire passer l’apparence pour la réalité, dans n'importe quel domaine de la vie sociale.
J. Goebbels, le ministre de la propagande et de l’éducation du peuple sous Hitler savait parfaitement  user de la langue du sophiste: "Nous ne parlons pas pour dire quelque chose, mais pour obtenir un certain effet." (cité par Ellul, Propagandes, p. 5) Autrement dit, le sophiste ne parle pas pour signifier quelque chose qui demanderait à être interprété, compris, éventuellement discuté; son discours n'a pas pour vocation à engager un dialogue qui fait sens mais à produire un certain effet sur son auditoire. Les mots, dans la langue du sophiste, ne fonctionnent plus comme des signes doués de sens mais comme des signaux dont la fonction est d'obtenir de ceux à qui ils s'adressent un certain comportement. Ils s'apparentent, dans cette mesure, aux mots qu'on emploie pour faire obéir son chien. Quand il entend "couché", celui-ci n'a pas affaire à un signe qu'il comprend mais à un signal qui déclenche un réflexe conditionné. La sophistique se confond dans cette mesure avec l'art de la propagande dont la visée dernière comme l'avait analysé J. Ellul n'est pas tant de faire régner une orthodoxie (une opinion conforme à une norme sociale) mais une orthopraxie (un comportement conforme à des intérêts de pouvoir).
On pouvait très bien ici développer la base neuro physiologique de ce pouvoir des mots d'influer un comportement; ce que l’on comprend désormais de mieux en mieux  par le phénomène de l’amorçage à partir, par exemple, de cette variante de l'expérience de Milgram:"les sujets étaient initialement  confrontés à des listes de mots évoquant des comportements soit hostiles, soit neutres. ils devaient ensuite infliger des décharges électriques à un inconnu (en fait un acteur) lorsque ce dernier répondait de façon erronée à une question qui lui était posée. Le niveau de décharge était laissé à l'appréciation des sujets sur une échelle de 1 à 10. Les individus du groupe "hostile" utilisèrent des niveaux de chocs en moyenne 50 % plus élevés que leurs congénères du groupe "neutre"." (Desmurget, TV lobotomie,  p. 218; cf. 1b En quel sens la liberté et la connaissance de soi sont liées? pour plus de développement)

b)Connoter et dénoter
Si les mots peuvent avoir ce pouvoir c’est aussi parce qu’ils sont bien plus que de simples moyens de dénoter la réalité. Dénoter= les mots servent simplement  à désigner des éléments du réel. Le mot « chien » me sert à désigner ce mammifère à quatre pattes qui aboie. Mais on ne comprend rien au pouvoir que recèlent les mots si on ne voit pas qu’ils servent en même temps à connoter la réalité= à la colorer de façon négative, positive ou neutre. C’est ici que les mots acquièrent un pouvoir qui permettra de modeler notre représentation du réel dans un sens conforme à des intérêts de pouvoir. Un double processus est alors à l'oeuvre: au gré de ces intérêts,  soit on prendra des mots qui  euphémisent le réel ( "senior" à la place de "vieux" quand on veut éviter que des images mentales trop fortes évoquent le réel, par exemple, pour faire travailler "les vieux" plus longtemps ou parce que nous vivons dans une époque caractérisée par la phobie de la vieillesse), soit des mots qui l'hyperbolisent ("génocide" pour "persécution" quand on veut, par exemple diaboliser un ennemi): "Le traitement infligé par la Turquie à sa propre population kurde n'est en rien moins meurtrier que le sort réservé par Saddam Hussein à leur compatriotes d'Irak. Mais, pour Galbraith, la Turquie ne faisait que "réprimer" tandis que l'Irak perpétrait un "génocide"." (Chomsky et Herman, La fabrication du consentement, p. 189)
 Prenons deux cas d'école dans le domaine de l'industrie
Cas 1: des " sites pollués" aux "sites historiquement industrialisés"
Il existe actuellement un flou artistique sur ce qui définit juridiquement un "site pollué". D'où l'euphémisation dans la langue bureaucratique sous l'appellation de "sites potentiellement pollués". Mais on peut encore aller plus loin comme le souhaitent les groupes de pression qui ont intérêt à valoriser leur capital foncier et éliminer toute connotation négative en renommant la chose"sites historiquement industrialisés", appellation qui peut même, le cas échéant, servir à valoriser le patrimoine culturel d'une région.
Cas 2: des "boues toxiques" au "biosolides"
Les "boues toxiques" évoquent immédiatement des choses répugnantes et dangereuses pour la santé conformément à la définition qu'on en trouve dans le Dictonary of environmental sciences:"mélange  visqueux, semi-solide, de matières organiques chargées de bactéries et virus, métaux toxiques, produits chimiques organiques et synthétiques, et de décantats d'eaux usées domestiques et industrielles après leur passage dans une station d'épuration". (cité par Stauber et Rampton, L'industrie du mensonge, p. 173) Le but du jeu va être de recycler ces déchets comme engrais agricoles à commercialiser et pour cela il falloir faire un travail sur les mots pour que la chose passe dans l'opinion publique. Plus de 250 suggestions, dont "biovie", "bioslurf, "or noir" , "engrhumain", "biorésidue, "nutri-cake","biomasse urbaine" etc. furent passées en revue  pour que le Comité pour un changement de nom se décide finalement pour "biosolide" dont la définition  avait fait disparaître toutes les choses évoquant des dangers pour la santé:"dérivés organiques riches en nutriments issus du processus d'épuration des eaux usées." (ibid., 175) Le grand avantage de cette nouvelle dénomination, c'est comme le notait un professeur d'université, qu'elle "n'évoque absolument rien" ce qui n'est pas tout à fait exact puisqu'elle suscite plutôt des images positives de choses "naturelles" associés au signifiant "bio". Comme s'amuse à le résumer G. Logsdon,"si le nucléaire peut convaincre le public qu'il produit "une énergie synonyme d'air pur", améliorer l'image des boues devrait être du gâteau..." (ibid., p. 196)
Ce pouvoir des mots a, en outre, des implications importantes touchant le récit historique comme le soulignait B. Brecht:« Confucius falsifia un vieil almanach patriotique. Il se contentait de changer  des mots. Là où il y avait: « Le seigneur de Kun fit mettre à mort le philosophe Wan, parce qu’il avait dit ceci et cela… », il remplaçait « mettre à mort » par « assassiner ». Disait-on que le tyran Untel avait été victime d’un attentat, il mettait:  « avait été exécuté ». Ce faisant, Confucius ouvrit la voie à une vue nouvelle de l’histoire… » ( Brecht, Sur le réalisme) De la même façon, Jennings rebaptisera "guerre d'indépendance et de libération", la lutte des Indiens nord-américains pour récupérer leur terre en lieu et place de  l'appellation des maîtres de l'histoire, "révolte de Pontiac". Brecht en tire une implication essentielle concernant le récit historique; le maître de la signification de l'histoire est celui qui est en position de l'écrire soit le vainqueur de l'histoire comme le notait S. Weil; il choisira avec grand soin ses mots pour connoter positivement son action et reconstituer le passé suivant ses intérêts propres; la subversion commence lorsque nous sommes en position d'écrire une contre histoire qui fasse apparaitre la "vérité officielle" pour ce qu'elle est: un mensonge. Et ce combat se mène d'abord sur le terrain des mots qui véhiculent les significations socialement instituées.
La distinction connoter/dénoter pouvait aussi être illustrée et développée à partir de la refonte complète du vocabulaire du management à partir de la fin des années 1970. L'évolution de l'organisation du contrôle des salariés  vers des formes anti autoritaires de contrôle (contrôle informatique, auto contrôle, contrôle par le client-roi) pour remédier à la crise de gouvernabilité des entreprises dans le cadre de la hiérarchie fordiste, s'est accompagnée de tout un nouveau vocabulaire connotant de façon éminemment positive le monde de l'entreprise. Elle n’est  plus pensée en terme de « hiérarchie » mais de "projet"; il n'est plus question de parler "d'exploités" c'est-à-dire d'individus qui subissent la domination d'autres individus suivant un rapport hiérarchique entre ceux qui détiennent le capital et ceux qui n'ont que leur force de travail à louer pour subsister, mais de "défavorisés": un "défavorisé" c'est simplement quelqu'un qui n'a pas eu de chance dans la vie; la cause de son malheur ne vient plus de conditions sociales que les hommes eux-mêmes instituent et reproduisent mais du hasard contre lequel on ne peut rien. La réalité sociale n’est plus pensée en termes de « classes sociales » aux intérêts contradictoires (les détenteurs du capital contre la classe des travailleurs) mais en terme de « partenaires sociaux » et "d'acteurs". L'employé au SMIC et le patron multi-milliardaire du CAC 40 sont des "partenaires"  d'une "équipe" entraînée par un "coach" relevant des "défis" et "collaborant" à la réalisation de "projets"; c'est tout un jargon désarmant la critique qui prolifère. Ainsi, le syndicat qui défend les intérêts du capital ne portera plus le nom de « C.N.P.F »(Comité Nationale du Patronat Français) mais deviendra le « M.E.D.E.F » (mouvement des entreprises françaises) donnant ainsi à penser qu’il s’agit d’un syndicat qui défend les intérêts des entreprises et de tous ceux qui,indistinctement, y  travaillent(ouvriers, employés, cadres, patrons…) et non plus un syndicat qui est là pour défendre les intérêts corporatistes de la classe détentrice du capital. Inversement, on choisira des termes à connotation négative pour désigner des institutions dont on veut se débarrasser: le terme « cotisation sociale  » qui désigne une façon de mutualiser une partie du salaire (45% en l’état actuel, en France) suivant un principe de fraternité, conformément à la devise républicaine,  est remplacé, dans le discours dominant, repris à leur compte par ceux qui n'ont aucun intérêt à sa promotion, les travailleurs pauvres, par celui de « charges sociales » de manière à connoter négativement cette institution pour en réduire le poids; en réalité, lorsque l’on parle de « réduire les charges sociales » cela revient à sabrer les salaires, la part qui est socialisée! Le journalisme de masse dont on a vu qu'il encourage l'inculture, relaiera aveuglément le vocabulaire de ses  principales sources d'information, les grandes administrations d'Etat et les services de relation publique des firmes. Tout un lexique servant à euphémiser le réel se développe ainsi: On ne parlera plus, par exemple, "d'expulsion" mais de "reconduite à la frontière".
C'est, encore plus en temps de guerre, que cette langue du pouvoir prolifèrera. Au cours de la première guerre mondiale, les Alliés avaient un problème avec les "hôpitaux d'évacuation" car l'opinion publique se scandalisait qu'on puisse traiter aussi mal des blessés de guerre. L'astuce d'E. Bernays, en charge de la propagande dans le Committee on public information, consista à y substituer le terme "postes d'évacuation" , appellation donnant à penser qu'il ne s'agit pas d'un endroit ayant pour vocation de soigner. Lors de la guerre du Vietnam, il n'était jamais question de nommer l'ennemi par le nom qu'il se donnait à lui-même, le FNL (Front national de libération) mais par un terme qui le diabolise, "Viêt-Cong". Ce qu'on aurait appelé "camp de concentration" pour l'ennemi se renommait "hameau stratégique" quand il était le fait de notre camp. Dans les guerres récentes des années 2000, les massacres de civils innocents sont rebaptisés, "dégâts collatéraux", les opérations de bombardement, "frappes chirurgicales" faites à l'aide de "bombes intelligentes" alors que, lors de la première guerre en Irak, 40% manquaient leur cible d'après le Boston Globe et que le secrétaire à la marine "estimait qu'il y a avait eu des milliers de victimes." (H. Zinn, Une histoire populaire des Etats-Unis, p. 670). Cela n'empêcha pas de la vendre comme la première "guerre propre" de l'histoire. Ce qui s'appelait "tireurs d'élite" du bon côté de la barrière devenait chez l'ennemi des "snipers" etc.

c)Le novlangue.
Comme le disait Mirabeau:" L'homme est comme le lapin; il s'attrape par les oreilles." Les pouvoirs totalitaires du XXème siècle avaient parfaitement intégré ce dicton. Contrôler la pensée des gens suppose de contrôler la langue. C’est le sens du terme « novlangue » qu’a inventé George Orwell dans son célèbre roman, 1984, pour décrire le type d'une société totalitaire dans laquelle il s'agira d'éliminer tous les termes qui pourraient donner lieu à penser l'ordre social  de façon critique:"Ne voyez-vous pas que le véritable but du novlangue est de restreindre les limites de la pensée?" (1984, p. 74). Les mots mesurent notre pouvoir de penser. Dès lors, la corruption du langage signifie  indissociablement l’incapacité à déployer les pouvoirs de notre pensée. Trois  lignes de développement permettent de suivre la prolifération d'un novlangue:

-l’appauvrissement du langage:"C'est une belle chose, la destruction des mots." (Orwell, 1984)
On voit mieux ici tout l'enjeu politique de l'appauvrissement du langage qu'induit les dispositifs technologiques de la société du spectacle comme la télévision (cf. ci dessus, la conférence de M. Desmurget).Comme V. Klemperer le notait à propos de la langue du troisième Reich, "elle avait fait vœu de pauvreté." Dans le projet de la domination totale, il s’agit moins d’inventer de nouveaux mots que d'en détruire le plus grand nombre possible. Moins nous avons de mots à notre disposition et plus notre pouvoir de pensée en souffre. C‘est pourquoi, dans 1984, le pouvoir s‘ingénie ici aussi à appauvrir la langue:"Comparé au nôtre, le vocabulaire novlangue était minuscule. On imaginait constamment de nouveaux moyens de le réduire. Il différait, en vérité, de presque tous les autres en ceci qu’il s’appauvrissait chaque année au lieu de s’enrichir. Chaque réduction était un gain puisque, moins le choix est étendu, moindre est la tentation de réfléchir." (Orwell, Les principes du novlangue,  appendice à 1984) Le processus de destruction des mots se fait au Ministère de la vérité  par l'extension du sens des termes qu'on veut conserver et qui finissent par constituer des fourre tout qui ne veulent plus rien dire; ce qui permet, du même coup d'éliminer toutes les séries de mots touchés par cette extension indue:" On avait étendu le sens des mots, nécessairement peu nombreux, jusqu'à ce qu'ils embrassent des séries entières de mots qui, leur sens étant suffisamment rendu par un seul terme compréhensible, pouvaient alors être effacés et oubliés." (ibid.).  Il faut toujours avoir à l'esprit en le lisant que 1984 n'est qu'une forme d'hyperbolisation de ce qu'Orwell voyait se produire sous ses yeux dans la vraie vie, ici la dégénérescence de sa langue. Par exemple, le mot "fascisme" jouait un tel rôle de fourre tout dès l'après-guerre rendant superflu l'usage de toute une série de mots:"Le mot fascisme a désormais perdu toute signification et désigne simplement "quelque chose d'indésirable"" (Orwell, La politique et la langue anglaise) De la même façon l'extension du terme "démocratie" fait qu'il finit par désigner le plus vaguement possible un "compliment" qu'on adresse à un régime quelconque:"Il est presque universellement admis que traiter un pays de « démocratique » est un compliment: par conséquent, les défenseurs de n’importe quel type de régime déclarent qu’il s’agit d’une démocratie, et craignent qu’il leur faille abandonner ce terme s’il était doté d’une signification précise."(La politique et la langue anglaise, dans,  Essais, articles, lettres vol. 4, p. 164) Ce que cache l’idéologie dominante actuelle, c’est que le terme « démocratie », quand on y réfléchit un peu sérieusement, est l’objet d’une paradiastole qui révèle un conflit de valeur  qui se noue autour de la signification qu’il convient d'accorder à ce terme comme le rappelait Orwell: "Les mots démocratie, socialisme, liberté, patriotique, réaliste, justice ont chacun plusieurs significations différentes, inconciliables. Dans le cas du terme démocratie, non seulement il n’en existe aucune définition ayant fait l’objet d’un accord général, mais les tentatives visant à établir une telle définition rencontrent des résistances de toute part." (ibid., p. 164) Remplacez "fascisme" par "dictature" (même si, en particulier, dans les milieux de la gauche, le terme "fascisme" continue assez massivement à jouer son rôle de fourre tout pour désigner tout ce qui est "indésirable"; exemple: "Sarkozy est un facho") et vous avez de nos jours la réduction du vocabulaire politique à ces deux termes: les démocraties qui sont nos amies à qui on adresse un "compliment" et les vilaines dictatures qui sont nos ennemies. Toute une série de mots qui donneraient à penser la richesse des types possibles d'institutions politiques comme, "oligarchie", "aristocratie élective", "aristocratie héréditaire","gouvernement représentatif", "monarchie", "tyrannie", "timocratie","ploutocratie", "auto gouvernement" etc.,deviennent superflus et nous voilà dans le pétrin pour penser la richesse du réel hors des cadres imposés par une propagande dont le principe est toujours de simplifier le réel jusqu'à la caricature à coup d'opposition bien tranchée entre un axe du Bien ("les démocraties") et un axe du Mal ("les dictatures"). En particulier, il nous manque désormais le terme  pour penser le régime politique dans lequel nous vivons qui n'est ni une "démocratie", ni une "dictature" mais quelque chose que cerne au mieux les termes "aristocratie élective" ou "gouvernement représentatif", comme il apparaîtra dans la deuxième ligne de développement. Une langue qui ne permet plus de penser le régime politique dans lequel nous vivons indique un degré de développement du novlangue assez élevé.

- L’inversion de la signification des mots:"L'esclavage c'est la liberté" (Orwell, 1984)
Vider un terme de tout sens précis en en faisant un fourre tout permettra de lui faire dire tout et n'importe quoi, et, éventuellement, l'exact inverse de ce qu'il pouvait signifier à l'origine: "l'esclavage c'est la liberté", "la guerre c'est la paix", etc. Bien avant Orwell, le grand historien de l’Antiquité grecque, Thucydide, avait déjà identifié la corruption de la langue avec celle de la société toute entière à partir du moment où le sens des termes s’est perdu et où, par voie de conséquence, on peut leur faire dire n’importe quoi, et, pourquoi pas, l’exact contraire de ce qu’ils sont censés signifier. C’est dans le contexte de la tragédie de la guerre civile à Corcyre au moment des guerres du Péloponnèse  que Thucydide le releva: « Voici ce qui arriva à Corcyre quand on cessa de respecter le sens des mots dans cette lutte effrénée pour le pouvoir : l’injuste devint juste, et le juste injuste. On appela les complots une « juste défense », alors qu’on conspuait la prudence en l’appelant « lâcheté » ; la violence bestiale était tenue pour du « courage », et la modération une couardise. Les serments ne liaient plus ceux qui avaient intérêt à les briser. » ( M. Sahlins, La nature humaine, une illusion occidentale, p. 14) La destruction du langage ici signifie la destruction d’une convention qui est la condition sine qua non  pour que des gens puisent vivre ensemble dans une société. C’est la destruction du fait que les mots ont une signification socialement instituée qui fait que je ne peux pas leur faire dire n’importe quoi, ce que l’enfant commence à apprendre en sortant de son état d’auto centrisme absolu: ""Words do not mean what I want them to mean." contrairement à ce que Humpty Dumpty dit à Alice." ("Les mots ne signifient pas ce que je veux qu'ils signifient". Castoriadis, Domaines de l'homme, p. 51; allusion au roman de L. Carroll, Alice au pays des merveilles) La destruction de cette convention  est alors simultanément la destruction du lien social. Ici encore, on peut observer combien une telle tendance à l’érosion du sens des termes est prégnante dans notre société.
Deux exemples concernant des termes essentiels.
Exemple 1: le mot « démocratie »
 L'extension du sens du terme (cf. ci dessus) fait qu'il peut finir par désigner quelque chose d'autre. Il ne serait jamais venu à l’esprit d’un Sieyès au moment de la Révolution française de 1789, d’appeler « démocratie » les institutions de l’Etat républicain qu’il s’agissait de substituer aux structures politiques de l’Ancien Régime:" La France ne doit pas être une démocratie, mais un régime représentatif. Le choix entre ces deux méthodes de faire la loi, n’est pas douteux parmi nous. D’abord, la très grande pluralité de nos concitoyens n'a ni assez d'instruction ni assez de loisir pour vouloir s'occuper directement des lois qui doivent gouverner la France. Leur avis est donc de nommer des représentants." (Discours à l'Assemblée constituante le 09 septembre 1789) Au moins connaissait-il encore le sens du mot « démocratie ». Il était cependant difficile de lui donner tort; et plus encore d'envisager la possibilité même d'un suffrage universel à cette époque. Un socialiste des origines comme Guépin avait attiré l’attention sur ce point lorsqu’il fallait constater que l’établissement du suffrage universel en France en 1848 avait pourtant conduit à l’établissement d’un pouvoir réactionnaire. La chose s’expliquait par l’état d’arriération du pays et son faible niveau d’instruction politique: "Le gouvernement provisoire a commis l’immense faute d’appeler tous les citoyens à une égale liberté de suffrage, sans avoir préalablement garanti le libre exercice du vote en éclairant le pays par la presse." (Guépin, Le socialisme expliqué aux enfants du peuple, p. 177) Déjà en 1647, lors de la Révolution anglaise, le problème s'était posé; les Levellers qui militaient pourtant pour une démocratie radicale, s’opposaient à l’établissement du suffrage universel  car le pays était dans un état d’arriération tel qu’ ils craignaient que « les pauvres dans les campagnes n’utilisent leur vote pour soutenir leurs maîtres royalistes, ce qui en termes modernes, revient à dire que le suffrage universel aurait conduit à un régime fasciste. » (Polanyi, Essais, p. 496) Ce n’est qu’au cours du XIXème siècle qu’on se mis, sous l’influence de penseurs comme Tocqueville, à appeler « démocratie » ce qui, en réalité, fut conçu dès l’origine, comme une alternative à la démocratie, le gouvernement représentatif. Une telle altération du sens de ce terme rend lès lors, problématique toute pensée critique de l’ordre établi au nom de la « démocratie ». Ce qu’il nous manque désormais, c’est le mot pour désigner ce qu’est une démocratie puisqu’il est  employé pour désigner un projet alternatif. Conséquence logique: tous ceux qui auront un intérêt à la promotion de la démocratie se verront qualifier par  d’autres termes qu’impose la langue du pouvoir qui les dénigrera. Ainsi, lorsque S. Royal en 2006  propose de mettre en place une surveillance populaire des élus sur la base de commissions de citoyens tirés au sort, ce qui est un legs direct de l’invention occidentale de la démocratie en Grèce, à droite, N. Sarkozy pourra traiter sa proposition d’ "outrancièrement populiste" tandis qu’à gauche des responsables se demandent « si cette proposition " ubuesque et grave " est inspirée par "Le Pen ou Mao.""(cf. Y. Sintomer, Petite histoire de l’expérimentation démocratique, p. 10) Comme nous n’avons plus le terme « démocratie » pour désigner la chose puisqu‘il est employé pour désigner autre chose, nous ne pouvons plus recourir qu’aux termes négatifs qui la connotent désormais dans la langue du pouvoir: "populisme", "poujadisme" ou "fascisme" suivant l'inspiration du moment. Le mot nous a été volé et nous voilà encore dans le pétrin pour penser la chose...
Exemple 2: « socialisme »
Encore un autre terme dont l’inversion de signification mesure le degré avancé de putréfaction de la pensée critique via la corruption de la langue dans notre société. Il existe aujourd’hui un « Parti socialiste » dont le qualificatif est tout à fait orwellien. Comment quelqu’un qui se proclame socialiste, comme le Ministre de l’éducation nationale, peut -il se revendiquer de l’héritage intellectuel et culturel de J. Ferry, le fondateur de l’école de la troisième République, qui considérait le socialisme comme un fléau à combattre et qui pouvait  défendre ses lois sur l'école en ces termes devant l'Assemblée Nationale:"[...] Si cet état de chose se perpétue, il est à craindre que d'autres écoles se constituent, ouvertes aux fils d'ouvriers et de paysans, où l'on enseignera des principes diamétralement opposés, inspirés peut être d'un idéal socialiste ou communiste emprunté à des temps plus récents, par exemple à cette époque violente et sinistre comprise entre le 18 mars et le 28 mai 1871."? (cité par G. Chambat, Pédagogie et révolution, éditions Libertalia, p. 31) Cela n’est possible que parce que aujourd’hui « socialiste » désigne quelque chose qui n’a plus rien à voir de près ou de loin avec ce qui fût inventé au XIXème siècle sous ce vocable mais a fini par désigner, de la façon la plus vague possible, un simple projet de modernisation de la société pour l'adapter aux évolutions du capitalisme conformément à la définition qu'en donnait un cacique du parti, D. Strauss-Kahn:"Le socialisme, c'est l'espoir, l'avenir et l'innovation." (cité par J-C Michéa, Le complexe d'Orphée, pp. 18-19; soit, exactement le même projet que celui de la droite libérale) Avec un tel élargissement du concept, à peu près tout le monde est devenu socialiste aujourd'hui, M. Macron, M. Trump, M. Sarkozy, etc., ce qui fait que le terme a perdu toute signification déterminée et pourra désigner n'importe quoi, et donc, le contraire de ce qu'il signifiait à l'origine, l'établissement d'un pouvoir effectif du peuple par le peuple. On peut soupçonner, d'un point de vue psychanalytique, que cette forme de névrose consistant à invoquer de façon obsessionnelle l'avenir cache la hantise du retour du refoulé, la phobie d'avoir à regarder en arrière et risquer de  tomber sur le cadavre du socialisme enterré dans les oubliettes de l'histoire. Ce qu’il nous manquera ici aussi c’est le mot pour désigner un projet de transformation radicale de l’ordre établi qui redonne aux gens un pouvoir sur leur propre vie ("Le contenu essentiel du socialisme: restitution aux hommes de la domination sur leur propre vie.",Castoriadis, Le mouvement révolutionnaire sous le capitalisme moderne) puisqu’il désigne désormais un courant politique qui est partie intégrante d’un ordre qui vise à conjurer le péril du socialisme originel, soit le projet d'une société capable de s'auto gouverner.
Les implications pratiques d'une telle inversion des significations sont énormes comme le savait l'antique sagesse de Confucius:"Si les dénominations ne sont pas correctes, les discours ne sont pas conformes à la réalité, et si les discours ne sont pas conformes à la réalité, les actions entreprises n'atteignent pas leur but." Autrement dit, dans ce cas particulier, toute mise en oeuvre d'un  projet socialiste sera immanquablement conduit à la ruine...

-la lignification de la langue: la langue de bois
La langue est comme un plant de lavande. Si nous voulons conserver celui-ci dans sa pleine vitalité et éviter qu'il forme du bois, se lignifie, il nous faut en prendre soin et le tailler juste après la floraison. De façon analogue, la langue a aussi besoin qu'on prenne soin d'elle pour qu'elle conserve sa vitalité; laissée à l'abandon, elle aura tendance à se durcir et devenir "langue de bois" , ce qui veut dire une langue totalement hermétique au réelLa langue de bois est une pièce centrale du dispositif que constitue une idéologie dont la fonction première pour Orwell est de rendre impossible toute situation de dissonance cognitive en nous rendant aveugle à ce qu'on a sous les yeux. La langue de bois est une langue qui par son durcissement a perdu tout contact avec la réalité physique.  
Ce processus de lignification culmine dans les expériences de type totalitaire. Comme l'avait noté V. Klemperer dans ses carnets, il fonctionnait à plein régime dans la langue de bois de la bureaucratie nazi chargée d'administrer la liquidation de millions de gens. Tous les termes qui pouvaient donner à évoquer la réalité de l’extermination de masse était remplacés par des termes à connotation neutre n'évoquant rien comme « solution finale » pour "extermination totale", « traitement spécial» pour " liquidation physique  par gazage" ; la déportation dans les camps était elle-même rebaptisée "réinstallation à l'est", etc. Dans l'autre grand totalitarisme du XXème siècle, la lignification de la langue avait aussi atteint sa pointe extrême. Par exemple, comme le note C. Hagège, « dans les textes officiels soviétiques, on constate un emploi largement inférieur des verbes par rapport aux noms dérivés des verbes, type de nominalisation dont le russe est abondamment pourvu. Le grand nombre de nominalisation permet d’esquiver par le discours l’affrontement du réel, auquel correspondrait l’emploi des verbes. Ainsi, on peut présenter comme évident et réalisé ce qui n’est ni l’un ni l’autre. Pour prendre un exemple français, quand on passe de « mes thèses sont justes » à "la justesse de mes thèses" [...], on passe de l’assertion à l’implicite. L’énonceur élude ainsi la prise en charge, aussi bien que l’objection. Car l’auditeur, s’il peut interrompre à la fin d’une phrase « mes thèses sont justes », le peut beaucoup moins après une portion de phrase inachevée « la justesse de mes thèses ». » (L’homme de paroles)
Dans l'expérience totalitaire culmine ainsi le processus de destruction de la langue qui tend à ne plus fonctionner que comme un système de signaux destinés à "obtenir un certain effet." (Goebbels) Ainsi, sous sa forme extrême, s'achève ce processus de destruction dans la langue de bois qui était celle la caste bureaucratique dirigeante du régime bolchevique en Russie: "[...] ce sont là pour moi les points peut-être les plus importants. Le langage est réduit à une fonction de pur code de communication, réduit à transmettre des ordres, des consignes, des signaux." (Castoriadis, Une société à la dérive, p. 115)
Dans le champ actuel du novlangue de nos sociétés, voilà ce que cela peut donner la langue de bois:


Comme le relève bien Michéa, "la lignification du langage commence bien en amont de l'idéologie totalitaire, même si celle-ci achève ce processus de façon absolue." ( Orwell anarchiste torie, p. 58) Ici aussi Orwell le voyait à l'oeuvre  dans l'Angleterre de son temps. Une langue se revivifie au contact de la réalité physique  :[...] L'anglais "distingué" s'anémie parce qu'il y a longtemps qu'il n'a pas été revigoré par le bas." (cité par J.C Michéa, Orwell anarchiste torie, p. 58) D'où, en contrepartie, chez Orwell, la valorisation du parler populaire:"Les gens qui ont le plus de chance d'utiliser un langage simple et concret, ou de recourir à des métaphores visuelles, sont ceux qui sont en contact avec la réalité physique." (ibid.) D'où aussi l'infinie supériorité de  la langue du poète et, de façon générale, de la littérature sur le jargon techno scientifique qui oeuvre puissamment au durcissement d'une langue qui n'évoque plus rien. D'où encore le développement du processus de lignification dans l'organisation bureaucratique de la société. L'administration nazi n'a pas le monopole de la langue de bois. Elle est inhérente à toute forme de travail de bureau qui, par sa nature même, est coupée des réalités du terrain.(1) Ce que détruit la langue de bois, c'est, finalement, le pouvoir d'évocation des mots, leur capacité à susciter des images mentales des choses en leur absence; autrement dit, ce qui se trouve affecté en son coeur, c'est le pouvoir de  notre imagination  d'évoquer le monde (2).

d) La fabrication des mots du consentement et les sondages d'opinion
Dans le régime d'une aristocratie de type élective qui est celui des Etats républicains modernes, il s'agira, pour reprendre l'expression d'un de ses propagandistes comme W. Lippmann, de « fabriquer le consentement », c'est-à-dire de  former l'opinion publique conformément au consensus s'élaborant à un haut niveau dans le cercle restreint de cette aristocratie « éclairée » qui est censée mieux savoir que le peuple ce qui est bon pour le peuple. Un des points d'application de cette fabrique se trouve dans les sondages d'opinion.
Exemple1: fabriquer le consentement concernant l'intervention de l'OTAN en Yougoslavie en 1999
En France un premier sondage montrait «  qu'une majorité relative de français (46% contre 40%) désapprouvait à l'époque « les bombardements aériens des forces de l'OTAN contre la Serbie. » Pour inverser la tendance et rallier l'opinion publique, il suffira de modifier les termes de la question
en l'euphémisant. Dès lors, ce sont « 57 % contre 30 % des gens qui approuvent « l'intervention militaire de l'OTAN en Yougoslavie. » (Cf. Stauber et Rampton, L'industrie du mensonge, p. 277). Des "bombardements" heurtent l'opinion; une "intervention", par sa coloration neutre,même si elle revient à bombarder,  aura le consentement de l'opinion.
Exemple 2 "aide sociale" ou "aide aux pauvres"
Suivant qu'on construise la question avec l'un ou l'autre terme les réponses obtenues varient  dans des proportions encore plus importantes comme l'illustrait ce sondage New York Times/CBS de 1992. Si c'est le terme "aide sociale" qui était mentionné, 44% des sondés déclaraient qu'on dépensait trop. Si c'est le terme "aide aux pauvres" qui figurait ils n'étaient plus que 13% à vouloir réduire l'aide. (cf. H. Zinn, Une histoire populaire des Etats Unis, p. 650)
Exemple 3: fabriquer le consentement pour réduire les budgets sociaux de l'Etat
Si on demande à la population si elle souhaite que l'Etat ait un budget équilibré, les gens répondront massivement oui. Mais si on reformule la question: "Souhaitez-vous un budget équilibré si cela signifie des coupes claires dans les dépenses de santé, d'éducation et de protection de l'environnement? Aussitôt le pourcentage de réponses favorables chute spectaculairement, de 20 à 30% selon la manière dont la question est formulée. " (Chomsky, Raison et liberté, p. 292) Pour fabriquer le consentement, on ne retiendra évidemment que la première formulation aboutissant à des réponses conformes au consensus s'élaborant à un haut niveau: "l'opinion publique veut un budget en équilibre, et elle a même voté pour. C'est une fabrication, mais à force d'être répétée indéfiniment, elle finira probablement par être intériorisée... " (ibid., p. 293) Comme le préconisait J. Goebbels en son temps, qui avait bien retenu la leçon de la propagande des Alliés au cours de la Première guerre mondiale, il faut l'enfoncer "à coup de marteau dans le cerveau du petit homme." (cité par J. Ellul, Propagandes, p. 230) Par exemple, Klemperer notait dans ses carnets intimes, que, dans la langue fabriquée par les nazis, les mots "peuple" (volk) et "terre" (erde) étaient utilisés aussi souvent que le sel et le poivre à table. Brecht avait fort bien démasqué le mensonge que cachait ce martèlement dont il convenait de s'immuniser en pensant la réalité de la société comme celle d'une "population" et non d'un "peuple"; la réalité du statut social de la terre comme une "propriété terrienne" et non comme une simple "terre" qui serait la propriété commune d'un peuple. Le terme "peuple" servait à donner l'illusion d'une communauté nationale par la référence à un ennemi commun, "l'ennemi du peuple", le juif, ce qui est le principe de tout nationalisme, comme le notait Arendt. La répétition obsessionnelle de ce terme sert à masquer la structure ultra hiérarchisée d'une société où les privilèges des classes dominantes reposent sur l'assujettissement de classes opprimées:"A notre époque, mettre au lieu de "peuple" la population [...] c'est déjà retirer son soutien à bien des mensonges [...] Le mot "peuple" implique une certaine unité, évoque des intérêts communs[...] La population d'un territoire a des intérêts divers, voire antagonistes, et c'est là une vérité constamment étouffée." (Sur le réalisme) De la même façon, le martèlement du mot "erde", la terre, l'enracinement du peuple dans sa terre natale, servait à masquer la réalité d'une société reposant, comme partout dans l'Occident moderne, sur l'appropriation de la terre par une classe de privilégiés ayant créé un prolétariat sans feu ni lieu (Marx) contraint de louer sa force de travail pour survivre. Comme le disait encore Brecht:"De même, parler de sol et faire des champs une peinture qui parle aux yeux par la couleur et l'odorat par les senteurs de la terre, c'est apporter son appui aux mensonges des puissants [...] Tandis que "propriété  terrienne" est le mot juste." (ibid.)

3)Nécessité de repenser le langage pour appréhender son pouvoir
a) insuffisance d'une conception purement instrumentale du langage
Ainsi, pour penser le pouvoir des mots, il était indispensable (et c’est d’ailleurs une constante pour tous les sujets qui mettent en jeu une réflexion sur le langage; noter en passant qu‘il en va de même pour tout ce qui touche la réflexion sur la technique; on ne commence à penser sérieusement celle-ci qu‘à partir du moment où l‘on aperçoit qu‘elle est infiniment plus qu‘un ensemble de moyens à notre disposition, moyens qui se caractériseraient par leur neutralité) de dépasser une conception naïve et purement instrumentale du langage qui en fait un simple moyen de communication; pour cela, il vous faut poser le rapport langage/pensée en montrant que c’est à l’intérieur d’une langue qui constitue un héritage social historique que se forme et se constitue une pensée lucide et réfléchie. Les grecs anciens le savaient déjà: le terme grec « logos » qu’on traduit habituellement par « raison » ne rend pas avec précision ce dont il s’agit ici; « logos » désigne de façon indissociable le discours et la pensée, soit le discours articulé et doué de sens laissant à voir qu’il n’y a pas de pensée en tant qu’activité réflexive sans langage.
b) La libre pensée suppose de se réapproprier sa langue
On voit bien, au terme de cette réflexion, comment la langue du pouvoir parvient  à rendre problématique toute critique de l’ordre établi, et, en contrepartie, pourquoi la capacité à mettre en oeuvre une analyse critique de la langue constitue la condition essentielle d'une libre pensée. C'est en faisant ce travail que nous nous réapproprions notre langue et pouvons devenir le sujet de notre propre discours et non le simple porte voix des significations socialement instituées qu'impose le pouvoir:"C'est pourquoi le simple souci d'enrichir son vocabulaire et de parler une langue claire, vivante et précise constituait déjà, pour Orwell, un acte de résistance politique quotidienne." (J. C. Michéa, Le complexe d'Orphée, p. 223).
 La libre pensée ne sera jamais quelque chose qui pourra être donnée via un droit et dont on pourrait jouir sans effort. Une telle vue est infantile. Il est vrai que nous sommes  juridiquement libres de penser ce que nous voulons dans nos sociétés qui se réclament des droits de l'homme, et, en particulier, du droit à la liberté de conscience et d'expression. Mais, nous ne saurons jamais rien faire de ce droit sans ce travail  de réappropriation de sa langue et il sera destiné à rester dans le registre du slogan publicitaire, vide de tout contenu. Raison pour laquelle, une école qui se prétend démocratique devrait introduire, non des cours de morale laïque pour discipliner les pauvres et gérer avec l'aide d'une armée de professionnels de l'éducation la crise actuelle du capitalisme qui se confond désormais avec la crise de la socialisation en tant que telle, mais veiller à donner de solides bases dans l'enseignement du français  pour, partant de là, introduire quelque chose qui ressemblerait à des « cours d’auto défense intellectuelle », et comme une composante essentielle de ceux-ci, des cours d’étude critique de la langue
Orwell donnait six règles à suivre pour s'immuniser contre le processus de lignification de la langue qui pourrait donner une idée de la voie à suivre:
"1. N'utilisez jamais une métaphore, une comparaison ou toute autre figure de rhétorique que vous avez déjà lue à maintes reprises.
2. N'utilisez jamais un mot long si un autre, plus court, peut faire l'affaire.
3. S'il est possible de supprimer un mot, n'hésitez jamais à le faire.
4. N'utilisez jamais le mode passif si vous pouvez utiliser le mode actif.
5. N'utilisez jamais une expression étrangère, un terme scientifique ou spécialisé si vous pouvez leur trouver un équivalent dans la langue de tous les jours.
6. Enfreignez les règles ci-dessus plutôt que de commettre d'évidents barbarismes."
(La politique et la langue anglaise)
On pourra aussi méditer ces réflexions de Nietzsche sur ce que devrait être une école dédiée aux tâches supérieures de la culture dans laquelle le soin accordé à la langue doit nécessairement être au centre des attentions:"Quelle serait sur ce point la tâche d'un établissement d'enseignement de haute qualité, sinon justement de ramener dans le droit chemin par autorité et avec sévérité digne les jeunes gens dont la langue est de venue sauvage et de leur crier:"Prenez votre langue au sérieux! Celui qui n'en vient pas ici au sentiment d'un devoir sacré, celui-là n'a pas non plus le noyau qui convient pour une culture supérieure" [...]. Si vous ne parvenez pas à éprouver un dégoût physique pour certains mots et tours auxquels nous ont habitués les journalistes, renoncez à aspirer à la culture." (Sur l'avenir de nos établissements d'enseignement) Prenons deux séries d'exemples actuels pour illustrer le propos de Nietzsche. Cela devrait être une douleur d'entendre à tout bout de champ parler de  "gérer ses émotions", "gérer son stress", "gérer sa vie" etc. Celui qui ne parvient pas à  ressentir  ce "dégoût physique" devant l'emploi d'un vocabulaire de banquier pour parler de ce qui gît au plus intime de notre fort intérieur a encore bien du chemin à faire pour arriver à pendre  sa "langue au sérieux"! Ou, encore, celui qui parle de son  "capital santé" ou de son "capital humain" etc.; ces tournures que nous reprenons à notre propre compte sans y réfléchir signifient que c’est tout l’imaginaire du capitalisme qui colonise notre identité personnelle  et fait de nous cette "S.A. MOI" (Société Anonyme Moi) dont A. Gorz parlait en désignant par là la captation intégrale de la personne humaine par le capital à l’âge du capitalisme cognitif de l'économie de la connaissance.

c) Eloge du novlangue
Cependant, précision de grande importance à apporter, il serait trop simpliste et tout simplement faux de réduire le novlangue actuel, en particulier, celui du "partenariat social", de l'"entreprise" et "du "projet" (cf. partie 2.b) à une mystification mensongère servant à masquer des rapports de domination et le conflit de classes.  D'une certaine façon, et c'est ce qui fait  toute la triste l'ironie de l'histoire, ce novlangue est vrai; il dit bien quelque chose de ce qu'est devenue notre réalité sociale. Cela apparaît de façon particulièrement claire dans la logique des "accords -cadres" patronat-syndicats au sein de grandes entreprises comme Danone, Carrefour, Volkswagen etc.,  dans lesquels les impacts écologiques de ces entreprises sont mis entre parenthèses au nom d'intérêts communs pour défendre l'emploi: "Dans un contexte d'imbrication des enjeux écologiques et sociaux, il est cohérent que des alliances entre patrons et syndicats se nouent en vue de défendre l'activité [...] Il est manifeste que la collusion patronat-syndicats, joue, sur le terrain, le rôle d'union sacrée pour la défense de la croissance et de l'emploi. Dans cette perspective, les problèmes d'environnement sont totalement mis de côté, et selon la logique  du renforcement interne de la cohésion entre acteurs qu'une menace externe rassemble, servent même de ciment entre partenaires sociaux." (S. Juan, La transition écologique, p. 160 et 162) C'est grâce à la même logique du "partenariat" que se poursuit  la tendance " à la privatisation  [...] des grandes entreprises à risques telles qu' EDF [...] Désormais, 80 % des activités des centrales nucléaires sont confiées à des sous-traitants [...] Sans l'accord de la CGT [...] rien n'aurait été possible." ( ibid., p. 189) Le novlangue actuel, sous cet aspect,  est vrai en ce sens qu'il traduit bien l'effondrement du mouvement  ouvrier qui était à la pointe du conflit social, et, plus généralement, de toute résistance sérieuse aux effets létaux des structures sociauxéconomiques établies. C'est pourquoi, il y a lieu de souscrire à la conclusion que donnait J. Semprun à sa Défense et illustration de la novlangue française. Ce n'est pas d'abord elle qui mérite d'être critiquée mais une réalité qu'elle désigne de façon pertinente:"Cependant, ayant défendue [la novlangue] en tant qu'elle est la plus adéquate au monde que nous nous sommes fait, je ne saurais interdire au lecteur de conclure que c'est à celui-ci qu'il lui faut s'en prendre si elle ne lui donne pas entière satisfaction." (J. Semprun, Défense et illustration de la novlangue française, p. 90)

Conclusion
a)Pour comprendre le pouvoir des mots, il faut d’abord être capable de dépasser une conception purement instrumentale du langage qui en fait un simple moyen de communication. Les mots sont infiniment plus que cela.
b) Leur importance tient d’abord à la sublimation de l’activité psychique que leur acquisition suppose, sublimation qui seule rendra possible la formation d’un individu apte à vivre en société, à verbaliser ses affects et à s'ouvrir les portes des formes supérieures de la culture.
c)Elle tient ensuite au fait qu’ils constituent un instrument de pouvoir pour régner sur les consciences d’où le rôle décisif que devrait tenir une réflexion critique sur le langage dans une institution qui prétend former des individus libres et éclairés..


(1) Prêtons nous un instant à  un exercice de décryptage de la langue de bois actuelle de la bureaucratie de l'Education Nationale.
Soit ce texte émanant des bureaux de la "gestion des ressources humaines" (l'individu est un stock de ressource  à exploiter tout comme une tonne de charbon) proposant à des enseignants de se reconvertir dans la "gouvernance des systèmes éducatifs":
"Les importantes mutations en cours dans la gestion des services publics et la nécessité de disposer de personnels compétents pour les piloter ont conduit l'Institut d'Etudes Politiques de Toulouse en partenariat avec l'Académie de Toulouse et avec l'ESEN, à proposer une formation de cadres de niveau Bac +5. Les enjeux fondamentaux de l'éducation et de la recherche dans la construction d'une économie de la connaissance conduisent à renforcer la maîtrise du contexte d'exercice professionnel des agents en leur permettant, grâce à des apports théoriques:
-de mettre en perspective les missions qui leur sont confiées en les replaçant dans l'ensemble des évolutions et exigences des politiques publiques; une formation pluridisciplinaire est proposée, mêlant des approches juridiques, sociologiques, économiques et gestionnaires, afin de donner une vision complète des politiques publiques actuellement à l'oeuvre et de leurs perspectives d'évolution.
-de définir le champ et le périmètre des activités liées à leur mission et celles qui peuvent être déléguées dans un souci d'efficacité, de coopération et de transparence;
- de construire les outils d'un suivi attentif de la cohérence des projets et la pertinence de leur réalisation."
Reprenons point par point tout ce jargon pour le décrypter et redonner au texte quelque vertu évocatrice dans une langue populaire et vivante:
"Les importantes mutations en cours dans la gestion des services publics": tournure vague servant à euphémiser la crise du capitalisme qui ébranle les fondations de l'Etat providence établies au lendemain de la Seconde guerre mondiale, en imposant, en particulier, des politiques d'austérité et l'adaptation des services publics  au modèle du management d'entreprise post fordiste.
"piloter": jargon devenu usuel pour euphémiser la hiérarchie dans des modes de contrôle qui se veulent anti autoritaires; peut avantageusement être remplacé par "exécuter"
-l'Institut d'Etudes Politiques" Institut pour lequel n'existe que le marché et le droit et dispensant une formation adaptée aux mutations anthropologiques du capitalisme conduisant à l'avènement du crétin procédurier (avoir des notions d'économie, de sociologie d'Etat et de droit suffit; voir plus bas, le programme de formation)
-"en partenariat":  terme qui prolifère dans les formes post fordistes anti autoritaires de management; l'ouvrier au SMIC et le patron milliardaire sont des "partenaires sociaux"; ma banque est mon "partenaire" pour me permettre de réaliser mes "projets". On le retrouve aussi bien à l'échelle des relations internationales entre Etats; Israël et les Etats Unis sont présentés comme des "partenaires" etc.; peut avantageusement être remplacé par "aux ordres de... ".
-"éducation": dans le contexte d'un hyper développement de la logique d'une éducation nationale peut avantageusement être remplacé par "contrôle de la jeunesse".
-"la construction d'une économie de la connaissance":  jargon appelé à se répandre comme la peste (cf. le "projet de refondation de l'école" du P.S. pour lequel il s'agit d'"inscrire le pays sur une trajectoire de croissance structurelle forte dans une économie de la connaissance internationale.") et qui renvoie à une nouvelle forme totalement artificielle d'accumulation du capital visant à créer de la rareté de connaissance par toutes sortes d'enclosures juridiques et techniques. L'Etat lui-même, dans le cadre de cette "économie de la connaissance" se donne pour tâche de valoriser "les actifs immatériels" de la "marque France", par exemple, en ouvrant des succursales de la Sorbonne à Abou Dabhi au pays des pétro dollars en faisant payer des droits d'inscription onéreux. Signale la crise aiguë du capitalisme qui affecte ses catégories fondamentales, la valeur-travail, le temps abstrait, l'argent et la marchandise. Peut avantageusement être remplacé par "la construction d'une nouvelle façon  de transformer du fric en plus de fric en créant artificiellement de la rareté de connaissance".
-"des agents": on peut ici signaler une erreur dans l'usage du novlangue actuel. Le terme en vigueur serait plutôt celui d'"acteur" dans les formes de management post fordiste qui requierent la  participation active de l'individu à sa propre soumission. Etre un simple "agent" c'est n'être qu'un exécutant qui applique passivement les directives bureaucratiques. Or le système ne pourrait pas fonctionner s'il le réduisait vraiment à cela (cf. Castoriadis) D'où la prolifération du vocabulaire de l'"acteur" qui sait faire preuve d'initiative mais toujours dans les limites fixées par la longueur de la laisse (cf. plus bas)
-"l'ensemble des évolutions et exigences des politiques publiques": cf. plus haut, "Les importantes mutations en cours dans la gestion des services publics". Désigne la même chose toujours de la façon la plus vague qui soit pour que cela n'évoque rien.
-"mêlant des approches juridiques, sociologiques, économiques et gestionnaires": définit les connaissances requises pour la formation. Du droit et de l'économie principalement avec une dose de sociologie d'Etat qui a parfaitement intégrée le fait que la "connaissance de l'humanité s'est changée en technique de domination de l'humanité." (Lasch)  Ce programme s'inscrit dans le contexte d'une idéologie qui ne reconnait que le marché et l'Etat et dont le type idéal est le crétin procédurier: un homo oeconomicus  vivant replié sur sa sphère privée d'existence et réglant ses différents avec l'institution via les tribunaux:" Des procès de parents contre des rectorats, demandant des dommages et intérêts pour des cours non assurés ayant occasionnés des échecs à des examens ou des orientations non souhaitées apparaissent, d'autres s'annoncent sur différents sujets. D'aucuns vont jusqu'à penser que c'est à travers une légitimité judiciaire future que l'École construira sa nouvelle légitimité sociale." ( souligné par moi. Extrait de La gouvernance des systèmes éducatifs Editions P.U.F. (2007) par Alain Bouvier Ancien recteur et membre du Haut Conseil de l'Éducation.) Noter le parallèle avec le contrôle post fordiste en entreprise: de la même façon que le client roi prend en charge une partie du contrôle des "équipes" de travail via la mesure du taux de satisfaction-client, les parents d'élèves, clients  du prestataire de service de l'E.N., sont appelés à en faire de même dans le cadre de cette "gouvernance".
-"définir le champ et le périmètre des activités liées à leur mission": peut, dans le cadre d'une organisation bureaucratique, être remplacé par l'expression plus évocatrice: "définir la longueur de la laisse."
-"dans un souci d'efficacité": traduit le désencastrement de la technique et de l'économie qui dictent leurs impératifs  aux tâches de l'école comme à l'ensemble de la société.
-"de coopération": la première des vertus attendues d'un fonctionnaire étant le respect de la hiérarchie, il est évidemment impossible de prendre ce terme au sérieux. On retrouve ici encore le vocabulaire du management post fordiste du partenariat et de la collaboration. Peut être remplacé avantageusement par "coopération à sa propre soumission";
-"transparence": euphémisation pour désigner quelque chose de très pénible, l'évolution vers des formes de contrôle total que rendent possible "les merveilles" du progrès, en particulier, de l' informatique.
-"projets": il était inconcevable que le terme fétiche du management post fordiste n'apparaisse pas à un moment ou un autre. L'établissement comme l'entreprise est pensé en terme de "projets"  (de l'anglais "project" = projet à court terme) avec la formule redondante de "projets d'avenir" qui est une façon de survaloriser l'avenir et de signifier qu'il ne faut surtout pas trop regarder en arrière; on ne sait jamais, des fois qu'on tombe sur des cadavres... On se doute bien qu'un "projet" qui viserait à revisiter le passé pour en faire une contre histoire aura du mal à convaincre la hiérarchie de "la pertinence [de sa ] réalisation." Le temps que passe l'enseignant à élaborer des projets, à se réunir en commission, à les soumettre à la hiérarchie aux partenaires, pour obtenir des financements,  est autant de temps qui est passé à la trappe pour poursuivre un autre projet, "un projet d'instruction publique", manière de dire que ce n'est plus cela qui importe mais bien de gérer la crise de la socialisation que génère le capitalisme dans ses formes les plus avancées. 

(2) Orwell se livre à un exercice éclairant.(La politique et la langue anglaise)
Comparons un texte de la plus grande tradition littéraire, ayant pour thème les aléas de la destinée humaine, celui de la Bible, avec ce que pourrait être sa traduction dans le jargon des experts sur diplômés maniant la langue de bois actuelle. L'abîme qui sépare les deux illustre le processus de lignification produisant une langue qui n'évoque plus rien, une langue qui ne parvient plus à dire le monde, ou, ce qui revient au même, une langue pour laquelle le monde est devenu muet:
"J'ai tourné mes pensées ailleurs, et j'ai vu que sous le soleil le prix de la course n'est point pour ceux qui sont les plus vites, ni la guerre pour les plus vaillants, ni le pain pour les plus sages, ni les richesses pour les plus habiles, ni la faveur pour les meilleurs ouvriers; mais que tout se fait par rencontre et à l'aventure." (L'Ecclésiaste, IX, 11)
Ce qui devient, dans une langue lignifiée par l'abstraction:
" L'examen objectif des phénomènes contemporains impose de conclure que la réussite ou l'échec dans des activités concurrentielles ne révèlent aucune tendance à présenter une corrélation avec les capacités innées, mais qu'il faut invariablement prendre en compte une part considérable d'impondérables."

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