mercredi 3 novembre 2010

Une société juste est-elle compatible avec l'existence d'inégalités?

Introduction.
Partant de l’analyse du sujet, exposer le problème que soulève la question.
Exemple.
L'idéal démocratique de justice tel que les grecs l'ont inventé il y a plus de 2500 ans est fondamentalement un idéal d'égalité politique qu'il semble difficile de concilier avec l'existence d'inégalités dans nos sociétés: inégalités qui sont donc d'abord à penser sur le plan du partage du pouvoir politique dans ses trois dimensions, législative, judiciaire et exécutive, aujourd'hui réservé à une élite spécialement formée pour cela. Mais ces inégalités quant au partage du pouvoir politique sont elles-mêmes conditionnées tant par des inégalités économiques dans la distribution des richesses que par des inégalités sur le plan culturel; on pensera ici à l'inégalité flagrante des chances qu'engendre notre système éducatif pour accéder à un savoir permettant de se former des opinions éclairées sur les sujets politiques importants. Cependant, il a souvent été reproché à l'idéal égalitaire de société de générer ,lui aussi, une forme d'injustice: est-il juste de donner le même salaire quelque soit l'effort respectif de chacun ? Est-il juste d'accorder sur le plan politique la même valeur à la voix du sage qu'à celle de l'ignorant?
Je pose ainsi mon problème de façon à montrer que la question se pose à un triple niveau: politique, culturel et économique .
Je pouvais ainsi suivre un plan par analyse de niveaux pour traiter le sujet sous tous ses aspects.



1) Plan d’analyse politique: une société juste est-elle une société qui répartit de façon égale entre tous ses membres le pouvoir politique?
a) Le projet de la démocratie
C’est le grand projet fondateur de la civilisation gréco-occidentale. A la question que je me pose ici, ce projet répond catégoriquement OUI. Il est attristant de voir ici le très petit nombre des copies qui exploite le cours et qui sont capables de saisir le sens de ce qu’est le projet d’édifier une société démocratique.
Il fallait montrer ici plusieurs choses:
- que la création de l’idéal démocratique repose sur un principe d’égalité dont on trouve le fondement philosophique dans la fin du mythe de Prométhée où Platon fait parler le penseur de la démocratie, Protagoras:"Hermès demande alors à Zeus de quelle façon il doit faire don aux hommes de la Justice et de la Vergogne:"Dois-je les répartir de la manière dont les arts l'ont été? Leur répartition a été opérée comme suit: un seul homme qui possède l'art de la médecine suffit pour un grand nombre de profanes, et il en est de même pour les autres artisans. Dois-je répartir ainsi la Justice et la Vergogne, ou dois-je les répartir entre tous? Zeus répondit:"Répartis-les entre tous, et que tous y prennent part; car il ne pourrait y avoir de cités, si seul un petit nombre d'hommes y prenaient part, comme c'est le cas pour les autres arts ..." (Platon, Protagoras, 323a) A la différence du savoir-faire technique qui est une affaire de spécialistes, l’art politique est l’affaire de tous; exemple: savoir construire un pont est une affaire d’experts= question technique/ décider si une loi sur la fiscalité est juste ou injuste est l’affaire de tous= question politique. Pour décider de ce qui est injuste ou non, il n’ y pas de science que détiendrait des experts mais des opinions que tout le monde doit être également apte à former.
- que ce principe d’égalité s’exprime sous une triple forme: iségoria/ isonomia/ isokratéia (cf. cours, le germe grec de la démocratie, 1.b.)
- que la démocratie athénienne a réalisé ce principe d’égalité au travers d’institutions comme l’ekklèsia= l’assemblée du peuple et le tirage au sort, seule procédure respectant le principe d’égalité entre tous les citoyens pour distribuer les fonctions de gouvernement et les postes de magistrature pour rendre la justice. (ibid., I.c.) Ce que nous prenons aujourd'hui comme étant le fondement de la démocratie , les élections, avait toujours été considéré jusqu'au XVIIIème siècle comme une procédure aristocratique obéissant à une conception élitiste du pouvoir politique. Elire, c'est toujours élire ceux qu'on estime être les meilleurs, les aristoï:"Le suffrage par le sort est de la nature de la démocratie; le suffrage par choix est de celle de l'aristocratie." (Montesquieu, Esprit des lois, Livre II, ch. 2)

b) Objections au projet démocratique.
Cet idéal d’égalité a été souvent contesté. Platon au IVème siècle avant J-C a donné le coup d’envoi d’une très longue tradition de pensée encore largement répandue aujourd’hui selon laquelle la politique serait une affaire trop sérieuse et complexe pour qu’on puisse la confier à n’importe qui.
Cette conception se veut élitiste et de fait profondément inégalitaire; la grande masse du peuple serait trop peu éclairée pour être capable de se former des avis éclairés sur des questions aussi complexes que la législation sur les retraites, le code du travail, les politiques économique, sociale, budgétaire à mener etc. Il faudrait laisser cela à des élites spécialement formées pour. C’est d’ailleurs ainsi que fonctionnent nos institutions: la politique est devenue un métier à part entière et l’affaire de spécialistes triés sur le volet et formés dans les grandes écoles (E.N.A, Polytechnique, Sciences. Po, etc.). Il est simplement demandé à la grande masse des citoyens un rôle essentiellement passif de votation une fois de temps en temps raison pour laquelle on peut dire que nos sociétés occidentales en dépit de leur appellation de « démocraties » sont finalement bien peu démocratiques et terriblement élitistes quant à la façon dont le pouvoir politique doit s'exercer.

c) Nécessité de démocratiser la société pour la rendre plus juste
Réponse à l’objection: si les gens sont trop peu informés pour se prononcer sur les grands choix de société à faire, c’est parce que des politiques ont été menées en ce sens qui ont toutes conduites à dépolitiser les gens en les divertissant. Comme le relevait Orwell, l'individu bien adapté à l'ordre social actuel présente trois traits caractéristiques: premièrement, il doit être apathique politiquement, c'est-à-dire qu'il a un rôle fondamentalement passif à jouer dans le cadre des institutions qui sont celles, non pas d'une démocratie, mais d'un gouvernement représentatif. Dès qu'il sort de sa passivité pour vouloir jouer un rôle actif sur la scène politique, le système rentre en crise. Ensuite, il doit être un rouage de la machine économique, c'est-à-dire, un individu occupé essentiellement à travailler et à consommer. Enfin, son éducation doit être faite de telle sorte qu'il se sente appartenir, de façon illusoire, à une communauté nationale; illusoire, car entre un P.D.G multi milliardaire et un S.D.F, il n'y a rien en commun qui les ferait appartenir à une même "communauté nationale". Des gens dont l’essentiel de la vie est occupé à travailler/consommer n’ont ni le temps ni les moyens en terme d’information pour se former un avis éclairé sur les grands choix de société à faire. Ils ont encore moins à leur disposition des lieux institutionnels où leur avis pourrait peser sur les décisions prises et où ils pourraient exercer leur sens du débat démocratique.Le seul lieu institutionnel qui leur est reconnu est l'isoloir dans lequel déposer un bulletin de vote, une fois de temps en temps, soit un lieu, par principe, non politique puisqu'au lieu de s'y rassembler on s'isole des autres (cf.cours, les "démocraties" modernes, c) La question du droit de vote)
Une société qui se prétend démocratique comme la notre est incompatible avec l’existence d’inégalités aussi importantes dans le partage du pouvoir politique que celles qui existent aujourd’hui. Au niveau le plus superficiel, on le voit à l’origine sociale de notre représentation politique à l’assemblée nationale: 0,5 % de députés issus d’un milieu ouvrier alors qu’ils représentent 25% de la population! Il y a une absence quasi complète de représentation politique des classes pauvres de la société ce qui tend à orienter les politiques conduites dans le sens de l‘intérêt de la petite minorité des plus riches.
A un niveau plus profond, ce qui est en cause, c’est la notion même d’une démocratie représentative qui conduit à faire de la politique le monopole des représentants et à en exclure la grande masse des citoyens.( ibid., a) La question de la représentation politique); La politique devient un métier et a cessé d’être l’affaire de tous, c’est un profond recul démocratique.
Une démocratie devrait déjà se donner pour tâche de permettre au plus grand nombre de pouvoir se former des avis éclairés sur les grands enjeux de société qui se décident au niveau politique. C’est une immense tâche.

Transition: j’attire l’attention sur la nécessité de faire et soigner les transitions entre les parties du devoir; leur fonction est de montrer le lien logique qui fait passer d’une partie à l’autre du devoir ce qui cimente ainsi l’ensemble de ma réflexion en un ordre méthodique et progressif pour traiter sujet.
Ici je montre le lien logique qui conduit du traitement politique de la question à son traitement culturel.
Exemple.
La formation pour tous d’une opinion politique instruite suppose la possibilité pour tous d’accéder au savoir. Il faut alors poser la question des inégalités existant dans notre société quant aux chances pour chacun d’accéder à l’instruction . On verra alors que les inégalités politiques sont-elles-mêmes conditionnées par des inégalités culturelles.

2) Une société juste est-elle compatible avec l’existence d’inégalités telles que nous les connaissons dans notre société touchant l’instruction?
Ma thèse sera que NON puisque ces inégalités culturelles conditionnent les inégalités d’ordre politique touchant la possibilité pour chacun de se former des opinions éclairées sur les choix de société à faire; et voici comment je l’argumente.
a) J’établis d’abord l’existence de ces inégalités dans notre société.
La conférence gesticulée de F. Lepage autour du thème de l'école est au cœur du sujet ici. Une mise en garde s'impose toutefois: Lepage a beau mettre les gens facilement dans sa poche en faisant le clown, il n'en raconte pas moins, sur au moins deux points importants, des choses très discutables. C'est une des paradoxes de ces gens là; ils prétendent aiguiser le sens critique de leur public et leur façon de procéder a plutôt tendance à le maintenir en veilleuse. C'est un principe d'auto-défense intellectuelle qui a une portée très générale: méfiez-vous de ce que racontent ceux qui prétendent vous instruire tout en vous divertissant, d'autant plus que ce genre de façon de procéder se multiplie aujourd'hui. Soyons précis ici. Premièrement, quand il montre vers la fin, un graphique qui prouverait que le niveau d'instruction ne cesse de s'élever, c'était certainement vrai jusqu'à une certaine époque, mais aujourd'hui, on peut avoir de gros doutes. il faudrait ici lui renvoyer à la figure, parmid'autres données disponibles, une étude américaine, à laquelle renvoyait le chercheur en neurosciences M. Desmurget, qui montrait que, pour les Etats-Unis, on assiste à une baisse spectaculaire du niveau des élèves, à partir du moment où la télévision s'introduit massivement dans les foyers, ce qui, on s'en doute bien, a guère de chance d'être une coïncidence fortuite. Deuxièmement, ce qu'il dit du débat ayant opposé, au moment de la Révolution française, ces deux grands projets pour l'école qu'était celui du courant incarné par Condorcet et celui de Lepeletier, n'est pas faux, à proprement parler, mais tronqué (incomplet). Pour résumer, il n'a retenu de Condorcet que le mauvais côté, élitiste, et, de Lepeletier, le bon côté, égalitaire. Enfin, passons vite sur un dernier point, typique d'une forme d'aveuglement qui prévaut dans les milieux de l'extrême gauche: présenter l'Université de Vincennes des années 1970, simplement comme un joyeux lieu de la subversion est pour le moins problématique; en partant de mon propre champ de compétence, la philosophie, j'aurais un très haut niveau de scepticisme sur cette version idyllique, tenant compte de ce que je sais des Maîtres à penser qui régnaient en ces lieux. En dehors de ça, il lui arrive quand même de raconter des choses intéressantes et instructives sur le fonctionnement de l'institution scolaire:


Ce qu’il nous dit, et qui est effectivement incontestable, au moins sur ce point, c’est que contrairement à ce que fait croire la propagande des gouvernants, l’école actuelle n’est absolument pas une école de l’égalité des chances. Le principe de l’égalité des chances dit: « à capacités égales deux enfants devraient avoir les mêmes chances de réussite scolaire quelque soit leur milieu d’origine ». Les statistiques de l’INSEE elle-même montrent que l’école actuelle déroge à ses propres principes (cf., par exemple; ,Observatoire des inégalités, l'inégal accès au bac des catégories sociales)  L’école actuelle est plutôt un ensemble de mécanismes institutionnels qui servent à la reproduction des couches dominantes de la société.

b) J’explique l’origine de ces inégalités
- Remonter d’abord à l’époque de la Révolution française et à Condorcet qui a posé les fondements de l’école actuel: principe d’une lutte compétitive dans laquelle ceux qui ont des facilités pour apprendre peuvent aller le plus vite possible sans être freinés par les plus lents. Principe de l'évaluation: la notation individuelle qui permet de hiérarchiser les individus.
Question: quelles sont  les catégories sociales qui ont le plus de facilité pour apprendre? Ce principe avantage évidemment les enfants issus de milieux sociaux favorisés en raison de deux choses.
-Le capital financier des parents qui permet de payer les études longues et chères, des cours privés, l’abonnement à des revues, la visite de musées, des conditions de travail confortables (ce n’est pas la même chose d’avoir une chambre pour soi seul pour étudier ou d’être entassé à trois dans une même chambre!) etc.
-Le capital culturel que les parents peuvent transmettre à leurs enfants; plus les parents sont pauvres en capital culturel plus le handicap de l’enfant est grand: le cas extrême, c’est l’enfant d’immigrés dont les parents ne parlent pas ou à peine le français; mais ce sont aussi toutes ces familles qui n‘ont à offrir à leurs enfants comme toute source de culture que ce que diffuse les chaînes de télévision commerciale; autrement dit, à peu près rien. Les inégalités en terme de capital culturel, comme le montre bien Lepage, sont, au niveau le plus élémentaire, des inégalités  face au langage. Les enfants, dès leur entrée en maternelle sont très inégaux face au langage en fonction de leur milieu d'origine; or, l'acquisition du langage conditionne l'acquisition de tous les autres savoirs. Ces inégalités tendent ensuite à s'amplifier à mesure qu'on avance dans la scolarité; entre un enfant qui peut compter sur une mère diplômée en littérature pour l'exercice de sa rédaction et un enfant venant de milieu populaire, la différence est énorme; le premier rendra un devoir qui fera l'admiration de l'enseignant tandis que le second aura bien du mal à surnager au dessus de la moyenne.

c) J’oppose l’idéal d’une école égalitaire au système actuel.
Je repart de la révolution française et du projet qui était celui de Lepeletier pour l’école. Le principe en est: freiner ceux qui ont des facilités pour apprendre pour que ce soit toute la classe qui progresse. L’ordre institutionnel n’est plus celui d’une lutte compétitive où le meilleur doit gagner mais celui qui vise à favoriser des rapports de coopération et d’entraide entre les élèves.
Une école s’inspirant de ce principe aurait cessé d’être élitiste et serait réellement égalitaire
C’est un projet qui induit un choix de société fondamentalement différent de celui qui nous engage aujourd’hui sur la voie de la compétition de tous contre tous à tous les niveaux, soit quelque chose qui ressemble à ce que les élèves ont pris l'habitude d'appeler "anarchie".
Il y a ainsi un certain nombre de copies qui désignent plutôt par" anarchie" ce qui serait la conséquence d'une institution démocratique de la société, en gros, un énorme bordel où plus personne ne s'y retrouve. Quand on dit cela il faut quand même tenir compte du fait que pendant près de trois siècles la démocratie athénienne a existé sans que cela soit la chienlit permanente! Pourquoi ce que les hommes ont pu institué de façon durable à une époque ne serait plus possible aujourd'hui? Le terme "anarchie" fait partie de ces  mots piège  qu'il faut commencer par nettoyer si on veut arriver à dire des choses intelligentes en l'introduisant! (On aura l'occasion d'y revenir...)

Transition: je fais un bilan de ma démarche qui me conduit à envisager un troisième aspect des choses.
Les inégalités politiques sont conditionnées par des inégalités culturelles, nous savons maintenant pourquoi; mais il a aussi dû commencé à nous apparaître que l’ensemble de ces inégalités sont conditionnées par des inégalités d’ordre économique. Une instruction aussi bien qu’un partage du pouvoir politique plus égalitaire pour une société plus démocratique et donc plus juste ne pourront se réaliser tant que subsistent dans la société des écarts aussi importants entre riches et pauvres.
C’est à l’examen de ces inégalités économiques qu’on va s’atteler maintenant.

3) Plan économique: une société juste doit-elle répartir de façon égale les richesses entre tous?
Les inégalités économiques conditionnant toutes les autres inégalités que nous avons passé en revue, il en découle qu’une société qui se veut démocratique devrait tendre à les réduire sinon à les supprimer.
Le caractère injuste des inégalités économiques est à penser à deux niveaux:
a) premier niveau, les inégalités de salaires liés à la rémunération d‘un travail.
Salaire moyen des joueurs de l’équipe de France de football qui ont débutés la dernière coupe du monde= 463 939 € par mois.
S.M.I.C (salaire minimum) = 1 343,77 € par mois.
Nous avons , une curieuse façon d’estimer la valeur du travail puisque nous tendons plutôt à survaloriser des activités nuisibles. L’invasion du football dans les médias obéit à une double logique, politique et économique.
 Politiquement, c'est une façon d’abrutir  les masses en les détournant des choses importantes comme les choix politiques essentiels qu'une société doit faire. Mieux vaut pour les élites des gens qui passent leur temps à discuter des mérites respectifs de l'O.M et du P.S.G plutôt que des citoyens qui vont venir s'intéresser de près à un sujet qui les concerne au premier chef comme celui de la réforme des retraites! L'idée c'est de dire: une masse amorphe politiquement et divertie sera plus facile à gouverner que des gens éclairés et instruits (Cf. Voltaire et toute la clique à sa suite jusqu'à des gens comme Bernays; cours, les "démocraties modernes", e) Thèse: les effets bénéfiques de l'apathie politique)
 Economiquement, c'est une façon  de produire en gros volume de la quantité de cerveau humain disponible à destination des annonceurs publicitaires: les médias de masse, dans leur forme actuelle, ont pour vocation, de l'aveu même de l'ex P.D.G de TF1 Patrick Le Lay , de produire " de la quantité de cerveau humain disponible": c'est cette quantité produite  qui mesure la valeur marchande de la page de publicité: plus l'audimat est important plus le temps d'antenne peut être vendu cher.
Voilà un début d'explication des sommes folles qu'attire le football pendant que des activités essentielles à la vie humaine sont considérées comme une charge trop lourde pour la société ( suppression massive de postes d’infirmières par ex.).
Une confusion souvent faite dans les copies est celle entre des différences et des inégalités; ce n’est pas parce que nous sommes égaux que nous sommes identiques et ce n‘est pas parce que nous sommes différents que nous sommes forcément inégaux. (Ici j'attire l'attention d'apporter le plus grand soin au travail sur les mots qu'on emploie. Pour une part essentielle, le travail de réflexion philosophique est un travail de "nettoyage du langage" qui consiste à distinguer ce que nous confondons dans l'usage courant de la langue. Une copie qui a le souci de faire ce travail sera obligatoirement valorisée).
Les différences sont, à un premier niveau, d’ordre naturel: l’un sera plutôt manuel, un autre sera plutôt un intellectuel; mais, à ce stade, ces différences ne sont pas encore des inégalités; elles le deviennent en vertu d’une échelle de valeurs qui est une convention sociale= une libre création des hommes qui ne doit rien à la nature. Pourquoi, au fond, le travail intellectuel devrait avoir plus de valeur que le travail manuel? L’un est aussi essentiel que l’autre à la vie humaine. A un second niveau, ces différences sont d’ordre sociales: être boulanger, c’est différent du fait d’être avocat. Mais pourquoi le métier d’avocat devrait avoir plus de valeur que celui de boulanger? Ici aussi, c’est la société qui transforme des différences en inégalités en vertu d’une échelle de valeur qui est, à bien des égards, profondément absurde: ce que nous valorisons dans notre système social, ce n’est pas d’abord l’utilité sociale d’une activité mais sa valeur marchande ce qui nous conduit à attribuer plus de valeur à l’activité nuisible d’un avocat fiscaliste qui défiscalise les plus hauts revenus qu’à un boulanger-artisan qui produit l‘aliment de base de nos repas, à un joueur de football qu'à une infirmière, etc. Historiquement et culturellement, on voit bien que l'échelle de valeur en fonction de laquelle hiérarchiser les activités humaines variera du tout au tout d'une société à l'autre; dans une société timocratique, ce sera l'ardeur guerrière qui sera exhaltée, dans une société religieuse, les pratiques rituelles et la manipulation des choses sacrées, dans une société marchande, la capacité à commercer etc. On pourra même dire que l'échelle de valeur prévalant dans une société donne une indication pertinente sur sa nature profonde.

b) Les inégalités salaires/ capital traduisent des rapports d’exploitation
Les copies ne voient pas cet aspect des choses qui est pourtant encore plus fondamental.
La valeur peut provenir de deux sources totalement distinctes; les salaires qui viennent du travail, nous venons de les voir. Mais il y aussi les revenus qui proviennent du capital et qui constitue de l’argent gagné en dormant grâce à l‘exploitation du travail d’autres hommes.
De ce point de vue, les inégalités se sont creusées dans notre société! depuis 30 ans la part du P.I.B revenant aux salaires à baissé de 9,3 % pour aller dans les poches du capital.

Sources: Insee, Commission européenne, FMI (voir, M. Husson, la baisse tendancielle de la part salariale) Aller vers une société plus juste peut alors vouloir dire deux choses différentes suivant qu’on accepte ou non les cadres de la société actuelle.

c) Dans une perspective réformiste, il s’agira simplement de mieux redistribuer la richesse entre le capital et le travail mais on laisse intact le cadre institutionnel .
La théorie de la justice de Rawls est une bonne illustration de cette approche réformiste.
Son intérêt est d'intégrer une exigence de justice sociale dans le cadre d'une société libérale; les thèses de Rawls correspondent à ce qu’il est convenu d’appeler la sociale démocratie: on accepte le principe d’une économie capitaliste de marché mais on y intègre une exigence de justice sociale dans la redistribution des richesses= rôle de l’Etat social= main gauche de l’Etat.
Elle conduit à définir le concept de la justice comme équité=le sens de ce qu'est une inégalité juste= une inégalité est juste si et seulement si elle est à l'avantage des plus défavorisés.
Autrement dit, la théorie de la justice de Rawls permettait de montrer qu’une société pour être juste doit être relativement inégalitaire.
Cette thèse suppose donc d‘avoir accepté le principe d‘une économie libérale= constitution d'un marché économique fondé sur la concurrence de tous contre tous. L’idée est de dire que ce cadre institutionnel est le plus efficient et le plus rationnel pour inciter à produire la richesse.
On pose que dans une société strictement égalitaire quant à la distribution des revenus, les individus ne seraient plus incités à travailler et règleraient leurs efforts sur ceux qui en font le moins possible. Dans une telle société on serait certes égaux mais dans le partage de la misère.
Analogie: si un professeur donne la même note à tous, les travailleurs finiront par prendre modèle sur ceux qui ne font rien.
La condition donc pour produire de la richesse dans une société serait de récompenser chacun en proportion de son mérite; cette société est alors nécessairement inégalitaire mais pas forcément plus injuste car le niveau de vie des plus pauvres aura plus de chance d'être plus élevé que dans une société strictement égalitaire du fait qu'elle  produira plus de richesses.
Ce ne sont pas les disparités de revenu qu'il faut regarder pour juger si une société est plus juste qu'une autre; ce n’est même pas de savoir si le mérite est toujours récompensé; celui-ci n’a pas de valeur morale aux yeux de Rawls: dans une compétition comme dans un match de foot ce n’est pas toujours celui qui le méritait le plus qui gagne. Le principe du mérite n’est rien de plus qu’un instrument efficient pour inciter à produire de la richesse.
La chose essentielle à considérer pour mesurer le degré de justice qui règne dans une société, c’est observer le niveau de vie des plus défavorisés; le principe est: meilleur il est et plus la société est juste. Pour savoir si une société est plus juste qu’une autre il faut donc comparer le sort respectif des plus pauvres. Une société plus égalitaire qu’une autre n’est donc pas nécessairement plus favorable aux plus pauvres. Au delà d'un certain seuil de réduction des inégalités économiques, nous n'améliorons plus leur sort mais le faisons au contraire empirer en décourageant l'ensemble des entrepreneurs de produire de la richesse par les impôts/taxes divers censés redistribués la richesse des plus riches vers les plus pauvres. Pour schématiser, on peut dire qu'il vaut mieux un gros gâteau à partager de façon relativement inégalitaire ,qu'un petit gâteau à partager de façon plus égale: le premier cas sera le plus favorable aux plus défavorisés.
Même à l'aune de ce critère de justice les sociétés actuelles dites "libérales" sont très loin d'être justes. Quand, en France, par exemple 13% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté= moins de 949 euros/mois pendant que le nombre de millionnaires s’accroît, on voit bien qu'elles satisfont très mal au critère de justice de Rawls (cf. La pauvreté progresse en France). Pendant longtemps, les écarts entre riches et pauvres ont été soutenables car même si les inégalités se creusaient, le sort des plus pauvres, tant bien que mal, tendait à s’améliorer suivant la formule de ce qu'a été le progrès social pendant plus d'un siècle, travailler moins pour gagner plus. C’est ce processus de « ruissellement » ( = laissez les riches s’enrichir, leur richesse finira par ruisseler vers les couches les plus pauvres de la société) qui, aujourd’hui s’enraye et qui rend la société de plus en plus injuste et la menace à terme d'exploser. Les inégalités entre riches et pauvres sont devenues aujourd'hui tellement vertigineuses qu'elles confinent à l'absurde:"Le patrimoine professionnel de Bernard Arnault, l’homme le plus fortuné de France selon le classement 2015 du magazine Challenges, représente 34,6 milliards d’euros. Il faudrait à un smicard 2,5 millions d’années pour gagner cette somme. Et encore, il ne s’agit que de son patrimoine professionnel..." (Les 10 plus grandes fortunes de France)

d) On pouvait aussi soutenir une perspective révolutionnaire.
Pour paraphraser un slogan de mai 68, ce qu’il faut faire, dans cette perspective, ce n’est pas partager de façon moins inégale le gâteau mais se réapproprier la boulangerie! Autrement dit, tant que certains seront propriétaires des moyens de production pendant que d’autres n’auront que leur force de travail à louer pour vivre nous serons dans un système social fondé sur des rapports de domination et d’exploitation d’hommes sur d’autres hommes . Ici la société juste que nous visons n’est pas à penser d’abord en terme de réduction des inégalités mais plutôt en terme de suppression des rapports de domination et d’exploitation qui font qu’un homme peut se rendre maître de la vie d’un autre homme.
Cette perspective révolutionnaire consiste donc à dire que si voulons démocratiser la société, il nous faut d’abord démocratiser le monde du travail= rapports fondés sur des rapports d’égalité et non plus sur des rapports de chefs à subordonnés. Il y a en ce sens une longue tradition sur laquelle nous pouvons nous appuyer, d’expériences qui ont été menées dans le monde du travail, en particulier dans le milieu ouvrier, d’autogestion= abolition des relations hiérarchiques au travail= c’est le collectif des travailleurs qui détient le pouvoir de décider ce qu’il faut produire/comment il faut le produire/à quel rythme/suivant quels horaires etc. ( pour une expérience concrète d’autogestion je renvoie au film documentaire, Lip ou l’imagination au pouvoir)
Cette démocratisation du monde du travail n’est qu’un aspect des choses: elle doit aussi trouver son équivalent sur le plan politique dans des institutions qui donne à tout citoyen le moyen de formuler/débattre/voter les lois. Ici aussi nous pouvons nous appuyer sur une longue tradition démocratique remontant à l’antiquité grecque et qui n’a cessé d’inventer de nouvelles formes de démocratie directe  comme dans le mouvement révolutionnaire ouvrier avec l'institution des conseils.
Ce projet d'une société radicalement égalitaire sans classe dont le mouvement ouvrier a été porteur puise ses racines à l'époque moderne dans les mouvements hérétiques qui se sont développés au Moyen Age et dont on trouve un témoignage éloquent dans ces mots de J. Ball, à la tête d'un mouvement de révolte des paysans anglais en 1381:"Ah, braves gens, les choses n'iront pas mieux en Angleterre, et ce jusqu'à ce que tout soit en commun, et qu'il n'y ait plus ni vilains ni gentilshommes, mais que nous soyons tous unis ensemble, et que les seigneurs ne soient pas plus grands maîtres que nous ne sommes." (cité par S. Federici, Caliban et le la Sorcière, p. 71)

Conclusion.
C’est un travail de synthèse. J’attire l’attention sur le plus grand soin à apporter à la conclusion car c‘est la dernière impression que laissera la copie au correcteur.
Les défauts les plus graves et les plus fréquents:
-Conclusion qui n’arrive pas à formuler une réponse précise au sujet et se perd dans des généralités sans intérêt; on a l’impression qu’on ne sait pas plus à la fin qu’au début de quoi il retourne quant à la question à traiter.
-Conclusion qui tombe dans le relativisme; ce défaut vient du fait que dans le développement le travail de synthèse pour accorder la thèse (oui à la question) et l’antithèse (non à la question) n’a pas été fait. On doit alors en rester à une conclusion qui est nulle philosophiquement: " certains pensent que oui, d’autres pensent que non  et que donc chacun est libre de penser ce qu’il veut  puisqu'on est en démocratie": il n'y a pas pire pour montrer  au correcteur qu'on se désintéresse complètement du sujet et qu'on est incapable de penser par soi-même pour former son propre jugement!
-Conclusion qui n’est pas cohérente avec le développement; beaucoup trop de copies disent en conclusion le contraire de ce que la fin du développement formule; l’exigence la plus élémentaire pour penser de façon rationnelle est d’abord la cohérence du propos. Avant de rédiger sa conclusion, il faut avoir soigneusement récapitulé l'ensemble de son travail pour l'accorder avec.
Exemple de conclusion.
a) Je rappelle le problème d’où je suis parti: la complexité de la question venait des différents plans d’ analyse sur lesquels la question se pose: politique, culturel, économique.
b) L’idéal démocratique qui est le grand projet fondateur de notre civilisation repose sur un strict principe d’égalité politique qui ne tolère aucune inégalité dans le partage du pouvoir politique (législatif, judiciaire, gouvernemental).
c) Que la réalisation concrète de ce projet est incompatible avec l’existence d’inégalités telles que nous les connaissons dans nos sociétés qui s'auto proclament "démocratiques", aussi bien sur le plan de l’accès à la culture que sur le plan économique car elles se répercutent inévitablement sur le plan politique.
d)Je termine éventuellement par un questionnement qui laisse le sujet ouvert.
Il nous reste à déterminer les modalités suivant lesquelles il faudrait réduire les inégalités dans notre société pour la rendre moins injuste. L’alternative serait: voulons nous engager dans un projet simplement réformiste pour rendre notre société moins inégalitaire? Ou avons-nous besoin d’une perspective révolutionnaire? A son niveau le plus fondamental, la question serait: le mode d'organisation sociale capitaliste est-il compatible avec le projet de démocratisation de la société?  Il est permis d'en douter. L'un suppose la division de la société en dirigeants et exécutants, l'autre suppose l'abolition de cette division...

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